mardi 3 novembre 2009

Leili saida Dakhla

Bonne nuit. C'est ce que je dis le plus souvent car je suis comme les oiseaux de nuit, je sors le soir. La journée je repose en paix sur un transat au soleil, quand il se couche, je vais dans la fosse aux lions, je vais au combat. Chanter devant les marrocains, ça me fascine, et ça me terrorrise. Ils sont exigeants. Il y a beaucoup trop d'hommes ou trop peu de femmes... Et les hommes ne vous regardent pas, ils vous toisent. Ils se donnent un air supérieur, autoritaire, et même si au fond, ils apprécient ce que vous faites et vous le montrent une fois le travail achevé, pendant que vous trimez, ils attendent de voir. Et vous n'avez pas d'autre choix que de tout donner. L'exigence du mâle marrocain, m'a moi-même poussée à l'exigence, la dureté de son regard m'a fait sortir de derrière mon micro. Je dois l'amadouer, le charmer, lui prouver que je suis bonne et qu'il a raison de s'arrêter pour me dévisager, il n'aura pas perdu son temps. Alors je lui parle, je lui explique qui je suis, pourquoi je suis là, mon bateau est là-bas, je pars dans 2 jours, je chante et il faut mettre de l'argent dans ma boîte si vous trouvez ça joli. Je blague, je raconte, je communique, je ne fais plus que chanter. Maintenant que j'ai une percu ( mon pote est revenu le lendemain avec la sienne, il a touché ses 15 dirham), je fais des boucles que j'arrose d'un débit d'oeuf, et d'une touche de derbouka, puis je me lève, je tape dans mes mains, suivie très vite par les marrocains, et je danse, je tourne en rond, j'entraîne une femme avec moi, et je transmets ma joie, parce que dans ces moments là, je suis aux anges. C'est encore mieux que de chanter, danser c'est complètement fou. Il faut que je prenne des cours de danse.

Ce jeudi, c'est le dernier jour où je peux chanter à Dakhla. Mais avant ça une nouvelle expérience inédite et très excitante m'attend... Ma première interview! Rendez-vous avait été donné la veille, mais je n'y croyais pas trop. Le lendemain à 14h pétante débarque un journaliste, carnet et crayon à la main, portable enregistreur dans l'autre. Nous nous asseyons, je commande un café, allume un cloppe et lui déballe ma vie. Il me demande de me présenter: " Je m'appelle Anne, j'ai 25 ans, je n'ai pas de diplômes, pas de permis de conduire, pas de mari, pas d'enfants, et j'ai décidé de ne pas avoir une vie normale, j'ai décidé d'avoir une vie différente, plus épicée. Pour cela je voyage, et je chante dans la rue en même temps". Je connais bien ma litanie parce qu'il m'a filé l'enregistrement, et c'était surréaliste, deux jours plus tard, de m'écouter raconter ma vie...Pendant une heure je lui ai donc dit d'ou je venais, ce que je faisais, pourquoi, comment, ce que je pensais du Maroc, etc.... Il m'a demandé si je pouvais donner un rendez-vous aux marrocains. Je me suis sentie telle Beyoncé sur un spot de pub pour la radio NRJ:" Salut, c'est Anna, j'adore le Maroc, et je vous donne rendez vous bientôt pour venir m'écouter en concert, ouaiiiis! gros bisous baveux, mmmmouak!!" Plu sérieusement, j'ai été complètement incapable de pouvoir lui dire avec certitude que je reviendrai un jour au Maroc. J'ai réalisé qu'à l'heure qu'il est, faire des prévisions sur le long terme m'est radicalement impossible, je ne peux penser que quelques mois à l'avance, et encore, qui me dit que dans quinze jours je ne vais tomber en adoration de vant le Cap vert et décider d'y rester plus que la petite semaine d'escale que nous réserve le Rids là bas? Bref, à la fin de l'interview, je lui demande quel est le nom de son journal, il répond qu'il s'agit d'un parution hebdomadaire nationale, le Sahra Osboia, oui très chère! Il a pris mon adresse et normalement les parents recevront le journal sous peu! Surréaliste...

Bref, après que le journaliste est parti, je vais demander au directeur s'il a une salle ou je puisse répéter, car il y a une compo que j'ai faite sur Pilhouë que je veux peaufiner pour faire entendre aux marrocains le soir même. Il y a notamment une petite boucle sympa et dansante que je voudrais exploiter. Monsieur Karim dit oui pas de problème, installez vous dans le hall. Mais bien sûr, je m'installe et joue devant le petit Mateo, son fils, tout content, et sa nounou avec qui j'ai sympatisé, qui a été mariée de force à un homme qu'elle n'aime pas et qui travaille pour une femme qu'elle déteste, sympa! Il est bientôt 19h, la nuit est tombée, et je sèche le cocktail du rallye, comme d'hab, pour aller faire ma clocharde dans la rue... Je m'installe, je discute, je prends à parti, gueule quand il n'y a pas assez d'argent dans la boîte, saute d'allégresse sous les applaudissements quand enfin elle tinte raisonnablement, fais des boucles, joue de la derbouka, puis me lève et danse. Je dis que je vais prendre un risque, je vais jouer une composition, une chanson qui raconte que je suis amoureuse de Martin le tchèque, mais c'est qui Martin le tchèque, c'est celui qui m'a prêté une batterie de voiture, et un adaptateur, tu as vu ( je me lève et je sors tout), regarde là, il y a une batterie de voiture, de 12 volts ( quasi que des mecs qui me regardent, et ils sont toute ouïe), un adaptateur de 300 watts, et je branche l'ampli et la pédale, et je peux me poser où je veux quand je veux, et personne ne peut rien me dire, c'est la liberté! Et tout ça c'est grâce à Martin le tchèque, c'est lui qui m'a montré comment faire, cet homme je l'adore, et il me fait rêver, c'est ça qu'elle dit la chanson.
J'envoie la chanson, j'envoie la boucle, je me lève, je danse et la mayonnaise prend, à la fin, ils m'applaudissent, ils applaudissent la chanson, je suis au ciel, allah ouakbar! Je termine, il y avait cent-cent cinquantes personnes environ selon Nyels et N, moi je ne le rends compte de rien, mais je suis trop, beaucoup trop heureuse. Je sors le pavillon marrocain que m'avait prêté mon skipper, le brandis, vive le Maroc, je pars demain, c'est trop triste, c'est trop court, c'était génial de chanter pour vous; merci, choucrane rortie, choucrane jouia, leili saida! Après, quand je marche dans la rue, il y a des gens qui me reconnaissent, me serrent la main, même le lendemain matin, c'est juste complètement fou... Je n'ai qu'une envie: chanter dans les rues de Dakar. Mon journaliste m'a expliqué que si la réaction des gens était aussi enthousiaste, c'est parce qu'ils ne voyaient jamais ce genre de choses, ici, à Dakhla, au sud du Maroc, presque en Mauritanie, dans un coin paumé de la côte atlantique. Ca me donne envie d'aller chanter dans des coins encore plus paumés, carrément dans des coins où il n'y a même pas l'électricité. Quelle importance, puisque l'électricité, je l'ai avec moi. Cette idée va faire son chemin dans ma tête.

Nous rentrons à l'hôtel avec N, parce que Nyels est parti s'acoquiner avec une jolie spectatrice de mon tour, et nous asseyons au dîner terriblement ennuyeux du RIDS, que nous désertons bien rapidement. N nous rejoint, on boit une bouteille de vin, et bientôt il est trop tard pour rentrer en navette flottante.