dimanche 29 novembre 2009

La rue la rue la rue

La rue c'est extraordinaire. C'est magique, spécial, spectaculaire. La rue c'est spectaculaire. A chaque concert sur la Praça Nova, il se passe quelque chose, les gens se rencontrent, et il en arrive de partout. Déjà, sur le chemin qui m'amène à la place et où je traîne mon troly, j'attrappe au filet tous les petits vendeurs et vagabonds du coin. Vais tocar hoje? Sim. Et ils me suivent (tous les jours, ils sonnaissent mon prénom, me hèlent toute la journée quand je passe..), se posent sous mon nez sur un rebord de parterre de fleur, et attendent tranquillement que je m'installe. Les enfants aussi sont là, uma musica, uma musica, trop joyeux, leurs grands-mères et leurs mamans changent de banc et se rapprochent, et attendent aussi. Ils aiment bien regarder toute l'installation, je déballe, je déplace, je branche, ils commentent la batterie, l'adaptateur, ils sont impressionnés par mon équipement, mon bordel fait la moitié du boulot, il attire l'attention à lui tout seul. Il y a les tarés aussi qui sont là, ceux qui me parlent et qui ne grillent absolument pas que je ne les comprends pas, malgré le fait que je le leur dise dans leur propre langue, ceux qui sont en transe, les alcooliques qui titubent entre mon ampli et mon micro, etc, etc...

J'ai réalisé qu'il se passait des choses quand j'ai assisté au débrief du concert que faisaient les norvégiens, les danois, Alan et Andy de San Francisco au reste de l'équipage de JF-II, qui n'était pas là. Ils parlaient de tout un tas de gens, de situations, de petits moments pendant le concert, que, trop absorbée par mes efforts, je remarque mais ne prends pas en compte. Là ils mettaient tous ces petits moments en exergue, et j'apprenais un peu ce qu'il s'était passé, car il y a aussi des choses qui se passent dans mon dos et que je ne vois pas... mais quand aura-t-on des yeux derrière la tête???

Voici donc ce qu'il s'est passé, dans les grandes lignes
Je me suis installée donc devant des grands-mères, des mamans, des enfants, des clochards, des fous, des alcooliques, des cireurs de pompe, des travailleurs, des travailleuses, des étudiants, des touristes, des marins, il y a un peu de tout.
Je joue et c'est très apprécié. On se souvient que j'ai dis que je commençais à m'ennuyer. A ce concert, au lieu de me concentrer pour faire quelque chose de rapide et lucratif (de toute façon en Afrique je dois oublier la boîte à sous), je me suis concentrée sur chaque morceau à fond, j'y suis allée pas à pas, j'ai ralenti le tempo, j'ai fait durer les chansons, et du même coup, le plaisir. J'avais remarqué que les cap-verdiens s'animaient tout de suite dès qu'il y avait du rythme, et ils avaient l'air endormi pendant les chansons douces. Du coup l'angoisse que me causait leur baisse de régime me faisait perdre toute concentration, je pense même qu'on lisait sur mon visage que j'étais bien emmerdée et m'emmerdais. Je donnais tout sur les chansons rythmées et étais complètement déprimée et déprimante sur les chansons douces. Cette fois-ci, je me suis dis je m'en fous, j'y vais cool, peut y avoir dix personnes qui tombent comme des mouches ou zéro, je chante pour moi, je me fais plaisir, labes. Donc comme j'adore les chansons douces, je les chante doucement et délicatement comme j'aime, et je me rends compte que les gens ne s'endorment pas, ils écoutent. Et à la fin, leurs applaudissements me prouvent que j'ai fait bien. Je persiste. Au bout d'une demi-heure Andy de San Francisco débarque, un peu en retard, flanqué d'Alan, et ensuite les deux danois dont Andy et les norvégiens, les marins de Dania et Vega débarquent, et se posent sur le rebord de fontaine devant moi. Franchement j'ai trop la honte, c'est un peu comme si des jeunes français de mon âge venaient me voir chanter, je suis persuadée qu'ils vont se faire trop chier et me trouver cucul au possible, en plus pile le jour ou je mets de l'intention dans des chansons un peu trop fleur bleue parfois, genre je l'aime a mourir de Cabrel entre autres... Bref, panique, mais bon je décide de m'en cogner. Une chose est sûre, ils sont trop beaux , surtout Andy et les deux norvégiens, c'est l'horreur, c'est trop la honte. Mais bon j'y vais quand même. Il y a un mec en look total jean, fou ou bourré je sais pas, qui tourne autour de moi, crie, parle, mais bon je suis habituée maintenant, je ne fais même plus attention. Quand je fais LOVE, je dis en portugais que je vais faire des acrobaties, il comprend et pendant que j'enregistre la boucle, il se met déjà à faire la chandelle et des galipettes entre la boite a sous et moi, il est complètement rond ou taré, et très probablement les deux d'ailleurs, et c'est un clochard aussi, mais bon, là, maintenant, c'est une star, c'est le guest de mon show, qui fait comme tant d'autres auparavant, qui s'invitaient et me piquaient la vedette nen mais c'est hallucinant! Insupportable! Je m'habitue de plus en plus à ces intrusions, et même je m'en sers, j'en tire profit. Je boucle minha galera de manu chao, une ptite chanson courte et tout douce, je la boucle à deux voix, ravissant, me lève et vais chercher mon clodo-taré-bourré qui prenait une pose assis sur le rebord de la fontaine. Je l'invite à se lever, il se lève, et je le prend par la main pour qu'il me fasse danser. Mais il est trop à l'ouest, il fait un peu n'importe comment, alors je lui dis attends, je le campe en face de moi, je prends ses deux mains et les plaque fermement autour de ma taille, je colle sa joue à la mienne, et nous voilà, la chanteuse et le vagabond, ondulant cheek to cheek devant les cap-verdiens absolument charmés! On applaudit très fort! Obrigada amigo!
Un homme habillé d'un pull rouge, qui avait l'air juste fou, mais pas bourré, est arrivé et s'est prosterné devant ma boîte, genoux et mains au sol, puis il y a glissé de l'argent avant de se re-prosterner devant, je peux vous dire que j'étais soufflée, jamais la boîte n'avait reçu pareils hommages, mon coeur était gonflé de fierté! Au débrief de la petite bande, j'apprends que pendant la demi-heure qui a précédé ce noble et curieux geste, le fou en pull rouge s'est tenu derrière moi, la main sur le coeur dans une transe aux mouvements semblables à ceux que faisait Ray Charles quand il jouait ou chantait. Je m'imagine le tableau, mais pourquoi n'ai-je pas des yeux derrière la tête? Au brésil j'investis dans un rétro. Sur L.O.V.E je laisse mon total-look-jean breakdanser à sa manière, et l'accompagne de mes petits trucs de capoeira, la dream team donne tout Praça Nova!

Au débrief donc je m'aperçois de toutes ces petites choses et de l'impact qu'elles ont sur les gens. La bande n'a pas l'air de me trouver cucul, soulagement, je constate avec bonheur qu'ils ont tout regardé tout écouté, qu'ils sont surpris et plutôt contents. Mais ce n'est pas à ce moment là que je réalise que la rue est le terrain sur lequel je dois continuer d'évoluer, que la rue c'est mon terrain.