mardi 3 novembre 2009
Pilou Pilou!!!
Cette traversée était géniale. On a encore bouffé comme des chancres, on a eu des dauphins, plusieurs heures, de jour, de nuit, des poissons volants dont deux qui ont atterri sur le bateau et qu’on s’est empressé de conserver pour se les faire à l’apéro un de ces quatres, un foutbastan (gros oiseau, je ne sais pas comment ça s’écrit) qui est venu mordre à l’hameçon de notre ligne et qu’on a posé sur le pont pour qu’il puisse reprendre ses esprits et repartir de plus belle, un oiseau qui est venu se percher en pleine mer sur un chandelier, et surtout, surtout, on a fait la course en tête pendant trois jours, on s’est fait bouffer par trois bateaux, mais seulement les dernières vingt-quatre heures. Pendant trois jours on a pas vu âme qui vive sur l’eau, on était tous seuls ! Vous pensez si j’étais heureuse !! A la vacation de 19h (moment ou tous les bateaux font le point et donnent leur position en signalant s’il y a un problème à bord, tout ça par maudite VHF interposée) François était tout content de donner notre position, bien en avant de celle des autres, un jour même par 50 miles ! Il disait, dandinant fièrement à son bureau : « je n’ose pas donner ma position… » !
On était trop contents, on a passé le tropique du cancer en sabrant une bouteille de champ, qu’on a sifflé à quatre avec une bouteille de rosé, tout le monde, le chef et sa femme y compris, tout bourré sur Pilhouë, Nyels et moi qui avions fous-rires sur fous-rires, le bateau ivre faisait route sur Dakar en zigzaguant… ! Moment coupe de champ magique, sur l'étrave de Pilou, musique à balle dans les oreilles, de Vince, toujours, le soleil, le vent, la mer bleue, les 8-9 noeuds de pilou sous spi multicolore, juste in-croy-able
On a appris encore et toujours à connaître Nicole. Mais ça, on le faisait déjà au mouillage, en se racontant tous nos journées de la veille au petit-dej, je me sentais comme en famille. Histoires de cœurs, aventures, mésaventures, tout y passait dans les détails, et on commentait en rigolant. Sur le bateau, Nicole et moi faisions la cuisine, la vaisselle, et c’était l’occasion d’échanger, de raconter, de s’apprécier. Parfois chacun vaquait à ses occuptaions, et pour les manœuvres et l’heure des repas, on était tous ensemble, la petite famille, à se régaler et à se féliciter d’être les premiers.
Sur Pilhouë j’ai encore eu des sensations étonnantes. Un peu pompette, le jour du tropique du cancer, me vient l’idée saugrenue de perdre des calories en faisant du sport sur ce fier sloop de douze mètres qu’est notre Pilou. Je trouve qu’en montant et descendant la descente de cockpit un maximum de fois dans la journée fait travailler les cuisses. Boire de l’eau est très bon pour les fesses des femmes, car vous allez souvent aux toilettes (vous montez et descendez la descente de cockpit à chaque fois, héhé), et quand vous pompez, (nous avons une pompe comme un stick que l’on monte et l’on descend tel un candidat aux élections présidentielles qui serre la pince à tout va), donc quand vous pompez, vous faites des pliés tendus sur vos jambes en serrant les fesses. Il faut pomper une vingtaine de fois, mais 40 c’est mieux, alors pour fesses, et pour les odeurs, vous pompez 40 fois. Et enfin, l’exercice le plus ludique, et très efficace quand la mer est peu agitée ou agitée, vous vous tenez debout dans le cockpit, et vous prenez les vagues avec le bateau tel un surfeur sur un bon swale, en tentant de rester en équilibre sur vos appuis sans vous tenir à rien. Et là, vous volez, littéralement, surtout quand le bateau pointe à 9 ou 10 nœuds… !! Et vous maintenez la fermetez de vos rondeurs, que demande le peuple! Sensations folles donc, où je flotte en plein quart de nuit, genoux pliés abdos gainés, sur Pilhouë qui chevauche élégamment la houle africaine. Tout ça au clair d’une lune ronde comme le ventre d’une femme enceinte, et qui vous éclaire comme en plein jour. Le vent vous soulève les cheveux, et les dauphins vous font la course, vous êtes blonde, vous êtes bronzée, non vous ne rêvez, pas vous n’êtes pas en train de fantasmer, c’est la vraie vie, c’est ma vie ! ( J'espère que vous remarquerez que parfois je fais des traits d'humour en exagérant le ton narratif, mais bien sûr je ne me prends pas au sérieux, j'ai l'égo sur-dimensionné mais quand -même. Enfin dans l'idée, au fond, il y a un peu de ça...)
Nyels est toujours aussi cool, et c’est toujours l’entente harmonieuse des deux équipiers de Pilou, qui aimeraient bien faire la traversée de l’Atlantique ensemble, mais ça, ça reste à négocier. Il est très bon, il barre bien, a tout le temps l'oeil sur les voiles, sur la mer, le nez au vent,il est toujours en train de faire "ses p'tits réglages". Il sent bien le bateau. Il est discret, on passe du temps ensemble mais aussi séparés, chacun dans son espace, dans son trip, c'est comme ça avec tous les autres membres de l'équipage. Chacun fait aussi son voyage. La solitude c'est très important en bateau. Si par exemple je ne fais pas tout ou partie de mon quart seule, ça me rend hystérique! Je ne suis que rage d'avoir manqué ce moment privilégié, avec la lune, les étoiles, le vent, la mer, Pilou, avec vous, car c'est dans ces moments là que je reviens en France aussi,et enfin, last but not least, avec moi même! Ma compagnie est charmante, ma conversation délicieuse, je voudrais pouvoir m'en faire profiter! Mais surtout, surtout, je fais mes p'tites compos, ça c'est patate. Je me pose sur le rouf, en hauteur, avec le yuku, dans le vent, dans la vitesse, dans les vagues et le balancement de Pilou, et je chante avec le yuku,dans le vent, dans la vitesse, dans les vagues et le balancement de Pilou, et...je réveille tout Pilou, notamment François, mais aussi Nicole, qui dit que je ne sais pas me tenir sur un bateau. "Tu dors le jour et tu nous fait chier la nuit!!!" ça a l'air brutal comme ça mais ça m'a fait mourir de rire, et je l'ai très bien pris parce qu'au fond c'est un peu vrai. Mais je me défonce quand même à la cuisine et à la vaiselle, je fais tout, t je cuisine tous les repas, fais toutes les vaisselles, sauf les deux dernières parce que j'en pouvais plus, et même le petit dej maintenant, donc j'ai ma conscience pour moi! Je sers à table, je fais tous les allers-retour cockpit cuisine, parce qu'on prend les repas dehors, bah oui! il fait 30 degrés! L'eau est à 29, c'est ça le sud!Petit pastis, petites olives, et une bonne tomme en apéro, au son du banjo et au chant de la ligne de canne à pêche qu'on remonte, columbo porc bananes plantins patates douces, melon d'eau en déssert... Petit vin rouge...(dommage j'aime pas ça, ni la bière, ç't'agaçant) Au dej, salade, systématiquement, crudités, légumes, fruits frais.... Petit vin blanc...François raconte souvent cette anecdote:
- Tu sais comment les plaisanciers décrivent l'hauturier? Tu déchires des billets de cent euros sous une douche froide.
Et ben moi je veux bien en prendre tous les jours des douches froide pareilles...!
Mais c'est vrai, la croisière, ça mouille. On s'est pris des vagues, j'en ai pris une vêtue sur tous mes plus chauds vêtements, trempée de la tête au pieds, yukuléle, bouquin, carnet de voyage, c'est allé jusque dans la cabine de Nyels... Alors je me mets en maillot, et là, surprise, il est 5h du mat, et il fait étonnamment bon, le vent chaud du désert qui parsème le teck de pilou de petits grains ocres, est chaud, et je suis debout sur le coffre de cockpit de Pilou,accoudée à la capote, Pilou bombe, on fait du huit noeuds, le vent est chaud, la mer et belle, la lune est grosse, elle va se coucher, le soleil va se lever, ça va être fantastique, superbe, magique, le quart du matin, c'est le quart qui va bien.
Nicole et François ne tardent pas à monter, ils sont de tous les levers de soleils, et de tous les couchers aussi, nous avec Nyels on en loupe quelques un parce qu'on ronfle....
Ils s'installent tous les deux, on discute et je descends faire le thé et les tartines grillées, c'est mon plaisir. On petit déjeune, en général Nyels est de tous les petits dej, moi j'en loupe parfois parce que je ronfle, mais quand je suis là, le peti dej, c'est mon plaisir, labes.
François est toujours haut en couleurs, en récits, et en enseignements et j’ai découvert encore à ma grande surprise, qu’il y avait de l’oncle Charles en lui, comme il doit probablement y en avoir en tout marin. Voyez-vous, François est un garçon coquin, qui aime à faire savoir aux femmes qu’elles lui plaisent, et comme oncle Charles, il aime à vous le témoigner en vous taquinant gentiment :
« Attention Anne, loin de moi l’idée de caresser ta délicieuse chute de reins, mais je vais passer derrière toi ! » « Oh, elle descend de l’étrave pile au moment où j’allais lui pincer les fesses ! ». "Allons belle enfant gambader cul nus gaiment dans l'herbe folle!" Non, là je délire. Du coup je me permets moi aussi quelques colibets et, n’hésite pas à lui rentrer de le lard comme à l’oncle, lui répondant avec aplomb, et le chambrant allègrement pour notre plaisir à tous, et surtout pour celui de Nicole ravie de me voir prononcer des mots ou prendre des libertés que leur propre fille ne se permettrait pas. Par contre elle est complètement hallucinée de voir que je me plie à toutes ses exigences, et que je cours en cuisine dès que le chef veut du sel, un couteau ou des câpres. Ce qu’elle ne sait pas c’est, qu’en plus du réflexe que j’ai pris sur Gédéon d’être aux petits soins pour mon capitaine, en sautant de mon banc chaque fois que le chef ouvre la bouche, je brûle des calories en faisant des allers-retours dans la descente de cockpit ! Nicole est outrée devant cet asservissement et mon obéissance aveugle…Ah, et aussi le chef est aussi pudique que l'oncle, donc bon, je suis à la maison quoi!
Nicole est trop sympa, elle est drôle, elle a ses tics de langage, son franc-parler, sa manière qu'elle a de dire "n"importe comment" à tout bout de champs, genre, "n'importe comment c'est pareil, n'importe comment il fait pas beau, alors..." ou "tu jettes!" chaque fois que quelque chose est pourri, j'adore quand elle râle, ou qu'elle est en stress. Elle est aux aguets, elle a des oreilles partout, quand on a ramené l'annexe après mon épopée grecque, on a oublié de l'attacher avec la chaîne, et ben Nicole, elle s'est levée dans la nuit, elle est allée pisser sur le pont, et rien qu'en jetant un bref coup d'oeil de routine, elle a vu que l'annexe était déchaînée, et hop hop, elle a remis le cadenas. Elle est comme ça, un placard qui claque, elle entend direct, tu vas le fermer celui du haut du frigidaire, t'as fermé ta vanne, t'as fermé ton hublot, y a un problème au dessal, sors la pompe de cale, fais gaffe, Nicole est prudence et mère de sureté, vigilance et prévoyance, Nicole est presciente. Elle rigole bien aussi, elle a la joie de vivre, même si elle sait s'énerver! Mais franchement, la croisière c'est tellement particulier, et j'en ai tellement bavé avec Denis, que maintenant je passe tout, je ne fais même plus attention! L'autre jour Nicole s'est excusée d'avoir été un peu sèche, parce que je lui parlais pendant qu'elle barrait, et qu'elle m'a envoyer bouler en me disant, ah tais-toi je barre là! Moi je sais que Nicole est en flipp quand elle barre, elle flippe tellement que je m'en fais toute une montagne de cette barre, c'est à peine si j'ose demander à la tenir, ça a l'air d'un monstre prêt à vous faire péter un tangon ou déchirer un spi, veux pas prendre ce risque... Je ne m'étais pas du tout formalisée, tout coule maintenant, je voyais bien qu'elle était stressée à la barre. On ne s'embarasse pas de chichis sur Pilou, et d'ailleurs, souvent quand on voyage, on ne s'embarasse pas de chichis.
J'ai remarqué que le rapport avec les gens est très direct, on pose tout de suite les questions essentielles. Avec la nounou de Mateo, ça donnait ça à peu près:
- Tu es mariée?
- oui.
- Et ton mari, tu l'aimes? ( depuis deux jours je joue avec Mateo, en souriant à Karima, sa nounou, mais sans jamais lui parler, parce que je ne me doute même pas qu'elle comprend le français.Ici c'est l'espagnol. ça fait deux secondes qu'on a engagé la conversation). Donc à ma question qui quand même, avec le recul, ne manque pas d'air, elle a un rire franc mais un peu gêné, et dit en ouvrant et refermant ses mains:
- le mari... c'est le mari!
- Mais ça veut dire quoi le mari c'est le mari, tu l'aimes pas ton mari?
Et là elle me dit que non, que son mari c'est son mari, elle ne l'a pas choisis, mais elle a ses enfants, et ses enfants, elle les aime, elle en a quatre, deux garçons, deux filles, elle travaille de huit heure du mat à dix huit heure à l'hôtel pour garder Mateo, le fils des patrons, après elle rentre à la maison, elle fait à diner pour toute la smala, puis elle part au souk où elle tient une boutique, et bosse jusqu'à deux trois heure du mat, et part enfin dormir 5 h grand max... Elle dit qu'elle fait tout cela pour ne pas avoir à demander d'argent à son cher en tendre et être indépendante, et en même temps à quoi ça lui sert d'être indépendante si elle ne peut pas être libre de le quitter? Mystère... et tradition.
A son tour elle me questionne:
- Mais toi tu es avec lui, là, le grand? Elle fait référence à Nyels.
_ Bah non, lui c'est un ami, il est avec moi sur le bateau.
- Avec l'autre alors?
- Bah non, avec l'autre c'est fini!
Alors là elle explose de rire et elle dit :
- comme ça? Et tu pars avec un autre!!
- Ah non, c'est fini maintenant, je veux être toute seule!
- OOOhh, mais tu vas pas marier et avoir des enfants?
- si mais plus tard! c'est mieux!
Deux globules rond, deux mondes qui se croisent et se paradoxent, mais s'entendent. En signe de son amitié, elle me donne sa casquette, ils m'écoutent jouer avec Mateo, et c'est avec bonheur que je lui chante à deux voix grâce au jamman, Aleikimini salem, chanson que j'ai apprise la veille ou l'après-midi même d'un ingénieur informatitien marocain qui bosse pour une boîte de congélation de poisson espagnole. Je l'ai rencontré dans le hall de l'hôtel, en essayant de capter le wii-fi, il a essayé de me trouver une derbouka, et après il a cherché les paroles de la chanson sur internet puis me les a dites pour que je puisse les écrire en phonétique, petite leçon gratuite de marocain, trop chouette. Je chante la chanson à Karima, elle chante aussi, elle sourit, elle est contente, ça fait plaisir! Le petit Mateo est survolté et ne lâche plus le petit shaker oeuf,monsieur Karim passe, il voit son fils radieux, il est content, madame passe, elle est très autoritaire et tout le monde la craint et le déteste, je le sais, je leur ai demandé parce que je la tiens aussi en sainte horreur... Du haut de ses compensés elle crache une voix d'homme d'un corps sec et fin, élégante et hautaine, elle rabroue son personnel en public devant ses clients, ce qui est très gênant pour nous. Karima la déteste, elle en a peur, tout à l'heure elle s'en cachait de madame, pour pouvoir me parler, saleté de madame, plus pète-sec tu meurs. Elle fonce sur Mateo, il ne la regarde même pas, elle est pas contente madame...passée la visite de madame, tout était magique, répète très spéciale dans le hall de l'hôtel de Dakhla...
Tout ça pour dire que les liens se créent très vites, les questions essentielles, la curiosité poussée à l'extrême des deux côtés, fait que la rencontre prend des tournures de petite histoire, petits moments privilégiés que l'on partage, furtifs, fugaces, mais qui vous laisseront une trace vive et chaude. Chaque action est prétexte à rencontre, chaque question, où est le pressing, le cyber, connaissez vous cette chanson, où y a - t - il un resto local, etc... Une question se pose à quelqu'un, et chaque personne que vous abordez, en voyage, est un interlocuteur potentiel, qui peut vous aider, et peut-être partager plus avec vous, et vous avec lui, que votre question, et sa réponse. Vous partagerez un moment humain, unique, et magique, vous apprenez, vous découvrez, vous vivez!
Avec Nicole et François, c'est pareil, très vite il se sont ouverts à nous, sur leur mariage, leur conception de la vie, leurs principes,mais chacun de leur côté, jamais l'un en présence de l'autre, et on aurait peut-être voulau ne pas en savoir autant avec Byels, mais voilà, la rencontre est choc, éclair,une semaine c'est pas beaucoup dans la vie, on va pas faire des salamaleks, c'est comme ça, point. L'école dans la vie.
On s'est connus, on s'est reconnus, on s'est réchauffés, on va se séparer,dans l'tourbillon d'la vie
Nicole part dans deux jours, je ne la reverrai peut-être plus jamais, pourtant elle aura beaucoup compté pendant une semaine...
L'école dans la vie.