dimanche 29 novembre 2009

C'est dehors que ça se passe

Je suis persuadée désormais que la rue, c'est là où je dois être. Ma place n'est pas dans les restos chics, les bars branchés, les halls d'hôtels de luxe. Qu'est-ce qu'on s'emmerde, mais qu'est-ce qu'on s'emmerde! Il ne se passe rien à la terrase d'un café! Les gens sont là, ils sont assis, ils ne bougent que pour aller aux toilettes ou payer l'addition ou mettre des sous dans ma boîte (bon, là ça va, je ne les blâme pas), l'accès est interdit aux clodos, aux chiens des rues, aux vélos rollers et jeux d'enfants, on s'ennuie, on se tourne les pouces. D'ailleurs se sont les gens à la terrasse des cafés qui regardent ceux qui passent dans la rue et non le contraire. C'est dans la rue que ça se passe. Quand j'y marche dans la rue, j'entends mon prénom partout, les cireurs, les vendeurs, ils m'appellent, ils me causent, ils me font chier parfois, mais bon, on se connaît, on se supporte, et c'est sympa. Je chanterais dans des restos, je ne connaîtrais pas la moitié des gens que je connais maintenant à Mindelo, même uniquement de vue. Quand je vais dans la marina, les portiers, la police, les gardes de nuit, ils connaissent mon prénom, ils ont tous vu le concert, il lèvent le pouce, ils disent qu'ils aiment, sap ou fich, ça veut dire super, franchement c'est bonheur à chaque fois que je vois une tête inconnue m'appeler par mon prénom, me sourire et m'encourager. J'adore surtout quand c'est des femmes qui le font. J'apprécie vraiment quand c'est des femmes, ça me fait chaud au coeur.

Hier j'ai chanté dans un resto, mais j'avais la voix cassée. J'y suis allée quand même parce que ça faisait 2000 escudos sûr, donc pour le principe je me suis motivée. En plus repas et boissons offertes et le resto est trop bon, donc j'y suis allée. J'ai chanté, j'ai souffert pendant une heure et demi. L'après-midi, Andy le danois a quitté Mindelo sur son beau bateau, direction Tobago, mélancoliques adieux et je suis restée longtemps au bout du catway à le regarder s'éloigner, j'ai ressenti une tristesse comme rarement, j'étais ensuite complètement déprimée. La voix cassée, la joie en berne, j'étais sainte-Blandine sur ma petite estrade du Gaudi, martyre. Pourtant les gens aimaient, me souriaient, applaudissaient haut et clair, mais moi je n'y étais pas. Au bout d'une heure et demie je vais voir la patronne, Jeannie, ancienne danseuse de french-cancan, et lui dis que j'arrête. Elle me demande de continuer un peu plus longtemps, car une table vient d'arriver et a dit qu'elle aimait, il faut les laisser en profiter. Ok mais je prends une pause. Je sors du resto et me liquéfie en eau salée, je suis fatiguée, je chante mal, et j'ai une patronne au dessus de moi qui ne me laisse pas m'en aller, je déteste, je hais, j'abhorre! A bas, à bas les patrons! Je me jure à ce moment là que plus jamais au grand jamais j'irai me soumettre aux exigences de quelconque patron que ce soit, pour quelque somme d'argent qu'il m'offre. C'est fini, fini! et pis c'est tout! Ma place, ma liberté, mon bonheur, c'est dans la rue. Je suis à la rue, la rue est à moi, le reste n'est que futilités, grands airs, et exploitation.