samedi 3 octobre 2009

Rester, c'est mourir un peu

A paris j'étais éteinte. Mollusque, méduse, barbaque, appelez ça comme vous voudrez, je n'étais rien. De l'envie, zéro. Du désir, aucun. Une fois, il y a longtemps, incapable de décider moi-même sur quel pied je devais danser ma vie d'adulte, j'avais été voir, sur les conseils d'une amie de la chorale, un psychologue orientateur. Il m'avait posé cette question: "Je ne te demande pas ce que tu veux faire, dis moi juste, de quoi as-tu envie, quels sont tes désirs?" "Je n'ai envie de rien". Il m'avait répondu, stoique, professionnel, philosophe: "L'absence d'envie, l'absence de desir, c'est le début de la mort." Peu de temps après, il rendait son dernier soupir...

Oú peut-on trouver les réponses aux questions que l'on se pose, les solutions aux problèmes que l'on rencontre? Je pense que c'est en cherchant dans son enfance: pour savoir l'adulte que l'on veut devenir, il faut se souvenir de l'enfant que l'on était. J'étais une enfant assez gaie, extravertie, curieuse, rêveuse, et extrêmement romanesque. Jétais fascinée par les héros de roman, d' opéras, et je m'indentifiais complètement à eux. J'étais Carmen, Scarlett O´hara, la Traviata, Heidi, Annie, Lancelot, Oliver Twist, Charlie, Ivanhoé... Pourquoi? Je ne sais pas. Comment? J'ai ma petite idée. Une maman aimante, attentionnée, investie dans notre éducation, ou plutôt dans notre développement personnel, car elle ne se bornait pas juste à faire de nous des fils de bonne famille, bien polis, bien comme il faut. Elle n'avait de cesse de nous plonger dans des histoires, et de développer notre imaginaire. Elle nous lisait "Peau d'âne", nous le montrait en vidéo, et après nous dégotait une vraie peau d'âne de déguisement (il faut le faire quand même, connais personne qui ait une peau d'âne dans ses placards...), et nous cousait elle-même la robe couleur du soleil, et ce, pour chaque personnage que nous affectionnions. Nous avions des déguisements de Carmen, de Robin des bois, de Lancelot, d'Alice au pays des merveilles, de Bécassinne, et quasiment tous faits à la main, fabriqués avec patience et amour par notre maman. Elle nous lisait à haute voix deux heures par jour pendant les vacances, en mettant le ton, elle nous emmenait au musée, dans les châteaux, et pour chaque pièce, chaque oeuvre, avait une anecdote à raconter pour nous intéresser à l'histoire des lieux que nous visitions. Plus tard, elle se démenait pour nous emmener à l'opéra et à la comédie française, organisant tout pour que nos cousins et nos amis nous y accompagnent, et tous ensemble nous passions un bon moment, encore et toujours, grâce à maman. Elle et Papa ont toujours éte disponible, affecteux et à l'écoute, jamais ils ne nous ont empêché de rêver. Au contraire, ils nous y ont toujours encouragé. Mon aîné est devenu navigateur, mon troisième aurait pu être pilote de chasse, et moi, je chante.

En quittant les bras de mes parents, je suis tombée dans ceux de Nicolas, le garçon le plus rêveur que j'aie jamais rencontré. L'adolescence, l'influence des modes , m'avait laissé blasée, désabusée, ne cherchant qu'à provoquer, choquer et faire parler de moi, en bien ou en mal. En commençant mes études de commerce, je m´étais résolue à entrer dans le moule, à me faire plus discrète, je m'étais fait une raison. Je n'avais pas suffisamment de talent pour être artiste, il fallait me ranger. J'exhibais à l'école de beaux chemisiers, et une médaille autour du cou, je voulais faire ma bourgeoise, fatiguée d´être adorée ou détestée, je voulais juste qu'on m'apprécie, et faire comme tout le monde. Mais Nico est arrivé, des rêves plein le coeur, des étoiles plein les yeux, chevauchant sa guitare qui ne le quittait jamais. Anciennement violoniste, je trouvais que la guitare c'était cheap, l'instrument par excellence du baratineur professionnel qui vous joue Aline, des trémolos dans la voix, au coucher du soleil sur la plage. Je détestais cet objet, et je détestais même quand Nico en jouait. Tous ses amis n'écoutaient que du Django Reinharts, du Santana, des chansons à guitare, et moi je n'en pouvais plus. Au bout d'un an je crois, après que Nico a insisté moults fois, un jour, j'ai pris l'instrument, gratté un accord, et depuis ne l'ai plus lâché. La guitare, c'était mon dada. Nico m'apprenait des morceaux, me montrait ses compos, il était mon mec, mon amour, mon idole, mon héro, et je voulais tout faire comme lui, jouer, chanter, composer. Alors je fis tout comme lui. Il m'encourageait, trouvait que je n'étais pas trop mauvaise, et me disait toujours, que si je voulais faire quelque chose, je pouvais le faire. J'étais selon lui mon propre chef, et il n'y avait personne à qui je devais rendre des comptes, ma vie n'appartenait qu'à moi. Sa phrase c'était "Tu les emmerdes!". Lui faisait tout pour qu'on lui fiche la paix, refusait l'argent de son parrain, travaillait juste assez pour qu'on ne fasse pas état de ses résultats, et une fois son devoir accompli, son diplôme en poche, il a trouvé du travail, économisé, puis il est parti vivre sa vie ailleurs, et différemment, pour mieux revenir, pour mieux grandir, pour s'ouvrir. Moi à l'époque j'avais un petit pois, je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez, et n'avait aucune volonté, sinon celle d'aimer Nicolas, et de découvrir plein de choses à son contact. Puis j'ai quitté Nicolas, puis Nicolas m'a quittée. Mais en fait il ne m'a vraiment jamais quittée et ne me quittera jamais vraiment, car ce que je fais à présent n'aurait jamais été possible si je ne l'avais pas rencontré, et toujours, ma vie sera placée sous le signe de ce premier amour, guidée par lui. Oubliée la petite bourgeoise, oubliée la révoltée, retrouvée la rêveuse. Dike Nicolas.

Mais sans amour, je ne rêve plus. Paris, ville fantasme aux yeux de tous, est ma prison dorée. Son opéra, sa comédie, ses boulevards, ses cafés, ses restaurants, ses habitants, ne m'attirent plus. Paris, ville merveilleuse, me fait cauchemarder. Je la connais trop, ou pas assez, en tout cas je ne me sens pas libre de m'y exprimer. Ne lisant pratiquement plus, les héros que j'aimais tant se font rares, et dans la vie de tous les jours, à part mes parents, ou Nicolas, je n'en croise jamais. Il faut dire que minée par l'ennui que je ressens, je ne cherche même plus à aller à leur rencontre, sortir de ma bulle pour m'ouvrir aux curiosités m'est devenu impossible. Soit je me terre, soit je pars loin.

Loin de Paris, loin de la France, loin de ce que je connais, loin de ceux que je connais, tout se transforme, et les vents tournent. L'enfant revient. La curiosité, l'envie, les désirs, et les héros réapparaissent. Aujourd'hui ils m'entourent, et partagent mon quotidien. Martin et Maya, les crazy tcheques, les jean sans peur, qui voyagent, et travaillent, et voyagent, et travaillent. Martin et Myriam, les P'tits suisses de la montagne, qui n'avaient jamais fait de voile auparavant, il est temps à présent de raconter leur histoire à eux.

Martin (le suisse) vivait dans sa jeunesse à côté d'un lac. Son père acheta un jour une vieille épave d'un bateau à moteur en bois, qu'il retapa avec l'aide de ses jeunes enfants. Une fois rénové, ils passaient leurs week-end sur le lac, à se balader et à pêcher. Ils rencontraient des marins, des voileux, qui leurs racontaient des histoires de croisières, de voyages. Ça faisait rêver le petit suisse. Il a rencontré Myriam, la mer, la voile, connaît pas. Il lui parlait toujours de partir un jour, à deux, en bateau, loin. Elle avait beaucoup de mal à imaginer la chose, n'ayant jamais navigué, il était difficile pour elle d'envisager la possibilité d'une croisière. Mais Martin ne lâchait pas l'affaire et parlait tout le temps de son désir d'aller. Un jour, elle a dit banco. Ils travaillaient tous les deux, ils ont économisé, acheté à deux (ils ne sont pas mariés, ni même fiancé) le voilier d'occase, Martin l'a retapé dans un vieux hangar pendant les longs week-end gelés d'hiver (il faisait parfois -15 degrés), un an de travail et de sacrifices, des sous de côtés, le bateau retapé, fin prêts, ils sont partis pour vivre leur rêve. Ne sachant pas naviguer, ils ont fait moults stages...
A coeur vaillant, rien d'impossible.

Avant-hier je me suis rendue compte que toutes les personnes qui m'entouraient dans cette marina étaient des héros, les suisses, les tchèques, Patrick le français qui va traverser l'Atlantique seul dans son 6.50, puis faire la road 66 seul à vélo, Anne la bateau-stoppeuse, monitrice aux Glénans qui part faire ses études d'ingénieur au Chili, et qui a décidé, la rentrée étant en mars, de prendre son temps pour s'y rendre en bateau, son mode de transport préféré. Oú sont-ils, ces héros, à Paris? Où les trouve-t-on? Il faudra que je cherche, mais c'est sûr qu'en hibernant chez moi, je n'avais pas de grandes chances de les rencontrer. Rester, c'est mourir un peu. En ce qui me concerne en tout cas. Maintenant je sais pourquoi je suis partie, pour retrouver les héros qui ont bercé mon enfance, les rencontrer, et m'en inspirer pour construire la vie, et les bonheurs qui seront les miens.