Aujourd'hui, avec Pedro, on s'est disputé. Ou plus excatement, Pedro m'a disputé. Je ne suis pas une bonne couchsurfeuse. Ou plus exactement, je ne suis pas une bonne touriste. Je dois gagner des sousous. Donc je ne visite pas, je ne pars pas en excursions, pour le moment je fais les poches des toutous, et je n'ai pas encore atteind mon "objectif écononie" (un somme d'argent que je dois amasser avant le départ au Brésil, histoire d'être peinarde un bon moment là-bas, sans avoir à dépendre de gentils thèques, coachsurfers ou qui que ce soit; le prix de la liberté totale...). J'ai beau "travailler", ce labeur me procure un plaisir inouï, et je n'ai pas l'impression de sacrifier quoi que ce soit en m'adonnant quotidiennement aux répétitions ou prestations en tous genres. A chaque fois je dois conquérir quelque chose, persuader une audience, la gagner à ma cause, la gagner à mon pain, et franchement, c'est kiffant! C'est agréable de se poser où l'on veut si le temps le permet, de commencer seule, de terminer accompagnée, de recevoir des compliments et de l'argent, pour le moment je n'ai rien fait d'aussi plaisant. Et en plus je gagne plutôt bien ma vie pour les efforts que ça me coûte, donc tant que je peux en profiter, je continue! Surtout que je viens de commencer donc je suis encore très loin d´être lassée...
Mais ça n'est pas du goût de pedro, et d'un côté, je le comprends. Je n'ai eu ma batterie que dimanche dernier, donc pendant une semaine, celle qui a précédé, je passais mon temps à la maison, à répéter ou a traîner avec mon hôte; nous parlions, regardions des films, allions à la plage, prenions de longs repas gastrono-diétetiques. Depuis dimanche, je me réveille, je café-cloppe, et je pars chanter dans Funchal, pour ne revenir que sur les coups de 10-11h du soir, crevée, couchée. Du coup, plus de longs repas, plus de discussions, how was your day, nice and you, nice, ok , good night. J'étais à l'hôtel quoi. Ce matin, il m'a dit qu'il n'y avait plus de communication, que j'étais dans mon monde, obnubilée par "the singing", et que je ne prenais même plus le temps de discuter avec lui, ou avec Lucio, le nouveau colloc. Et c'était vrai. Hier soir je suis rentrée complètement nase de ma journée, à 23h30, Lucio était là, ils commencent une conversation en anglais puis embrayent sur du portugais, et pour moi, deux portugais qui parlent porutgais, c'est trop d'efforts, surtout après une journée comme celle-ci... Je me suis donc plongée dans le vague, puis dans l'ordinateur. Pedro n'a pas apprécié du tout!
Ce matin donc, il me dit qu'il n'y a plus de communication, que je ne suis pas la couchsurfeuse à laquelle il s'attendait, qu'on ne fait plus rien ensemble, qu'il ne me montre pas l'île, et que de toute façon, l'île ne m'intéresse pas. Je ne savais pas trop quoi dire, parce que c'était complètement vrai. Je ne suis pas là pour faire la touriste. Je ferai la touriste quand je serai en vacances! Et je serai en vacances quand j'aurai atteint mon objectif, m'installer au Brésil, c'est à dire trouver un logement, des bars où chanter régulièrement. Point. Et pis c'est tout! En attendant il faut se donner les moyens de ses ambitions, donc gagner sa croûte. Mais le couchsurfing, c'est la rencontre, le partage. Et moi je rencontre et je partage toute la journée. Alors quand je rentre chez moi, ou plus exactement, chez le couchsurfeur, je n'ai plus trop d'énergie à partager. Il est donc normal que ça énerve Pedro, que je prends un peu pour l'aubergiste du quartier. Je crois comprendre à travers ses mots qu'ils veut que je parte. Je vais donc partir. Auparavant, je m'excuse platement, j'essaie quand même de me justifier, mais il ne veut pas m'entendre. Pas facile d'écoute celui-là, doit pas souvent admettre qu'il a tord... Je comprends ça très vite et lâche tout de suite le morceau. Il va bouder dans la cuisine, je me précipite sur internet pour trouver un hostel, Centro de Juventud, Hostelling International, 11 euros la nuit, en plein centre, 5mn marina, 5mn shopping center, 5mn quartier piéton. Je réserve. Je dis à Pedro que j'ai compris le message, je vais partir, je suis absolument désolée, ça n'était pas dans mes intentions d'agir ainsi, je me suis laissée happée sans trop faire attention, j'aurais dû, j'aurais pas dû, mais tout va bien, j'ai trouvé un hostel, je pars tout de suite si tu veux.
Mais Pedro envoie des signaux complètement contradictoires...Je n'ai jamais dit qu'il fallait que tu partes, tu peux rester jusqu'à vendredi si tu veux!!! Bah Pedro, avec tout ce que tu viens de me dire, tu me dis que je me crois à l'hôtel et que je ne visite pas, qu'il faut que je passe plus de temps avec toi, moi je dois travailler, je ne peux pas passer du temps avec tout le monde, toi, les suisses, les tchèques, ma guitare et mes p'tits clients, je ne vais pas changer, je vais continuer à chanter la journée et rentrer fatiguée le soir, c'est normal, c'est la vie, je ne vais pas me mettre à faire du trekking, à me payer des cinoches, et des expos, c'est pas ma place, je ne suis pas là pour ça! Et si je ne change pas, il faut que je parte... Pedro est trop déçu. Il pensait qu'il suffisait de me dire que je change pour que je change, et que donc je reste, mais ho! on est pas mariés. Je suis enfin libre de faire ce que je veux, je vais pas me mettre à me plier aux exigences des couchsurfers, qui en plus sont parfaitement au courant que je dois travailler. Pour une fois que j'ai envie de travailler en plus! Première! Depuis 25 ans! Je vais pas m'arrêter au bout de 10 jours! Mais quand même, moi je t'aime Pedro, je veux qu'on se revoie! C'est non. Ah d'accord. Très en colère mon couchsurfer. Je me demande comment ça se fait qu'il m'en veuille à ce point, surtout que j'ai absolument rien vu venir... un cheveux sur la soupe! En même temps je ne le connais que depuis dix jours, c'est normal qu 'il reste des côtés imprévisibles.
Bon, bah j'y vais, je fais mon sac et je prends le bus, c'est dommage que tu ne veuille plus me revoir, je trouve ça excessif même, mais bon, tu dois avoir tes raisons. Do you want me to give you a ride? Ah surtout pas, déjà que je prends ta maison pour un hôtel, je ne vais pas prendre ta voiture pour un taxi, je te remercie mais je crois que j'en ai assez fait comme ça, je vais me débrouiller seule. Je charge mon charriot avec mon sac à dos de scout, auquel s'ajoutent parasol tabouret, ampli... C'est plus un charriot, c'est un cagibis, j'arrive même pas à le passer par la porte. En plus j'ai la guitare sur le dos, et un autre sac à dos sur le ventre. Lucio passe en coup de vent à ce moment là, ignore complètement la situation (sur-tendue, je vous raconte pas) , grand sourire, je te dépose? A contre coeur, ayant dit non à Pedro, je dis non à Lucio, mais accepte que Pedro m'aide à sortir de l'immeuble. Le charriot est intractable, il faut avoir l'imagination d'un McGayver, le courage d'un Rambo, la force de Superman pour envisager de prendre les transports en commun avec...! Pedro dit, at least let me drive you, you cannot take the bus with this. Ok, c'est vrai, faut le reconnaître. Il m'accompagne donc, une tension à couper au couteau, moi qui dit que c'est dommage quand même, c'est trop bête, allez on va se revoir, allez...C'est niet. Bon. Je n'insiste pas. On se quitte, aussi brièvement qu'avec Denis, étrange réminiscence. Je suis la reine pour défaire des liens aussi vite qu'ils ont été créés...
J'arrive à l'hostel. Spacieux, coquet, propre, internet, belles douches, une chambre pour moi toute seule, tout ça pour 11 euros la nuit, joli, merci HI! Promesses tenues, je reconnais le quartier, c'est à 5 minutes de tout. Chouette. Enfin, je suis seule. Je ne suis plus seule parmis les autres, je suis seule avec moi-même, et c'est drôlement sympa. Si j'ai envie de me taire je me tais, si je veux vaguer, je vague, si je veux zoner sur internet pour me détendre, je zone, j'attends pas 1h du mat' que tout le monde soit couché. Je dépose mes affaires, zone 7mn (20c d'euros) sur internet, et puis je pars chanter. Je veux aller au Lido. Paraît que c'est blindé. Le quartier est à 15mn en bus. J'arrive suante à l'arrêt, monte avec difficulté, descend avec de l'aide, je suis au quartier du Lido, personne. Je vais sur la promenade, personne. les cafés, les terrasses sont vides. Merdouille. Le sol est mouillé. Ah d'accord, il a plu. Bon, bah ça va sécher. Je m'installe sur une terrasse, dont une bonne partie est sous des arcade. Au bout de deux chansons, il pleut. Le café me laisse me réfugier en plein coeur de sa terrasse couverte, et continuer le tour. Une vache pisse. Il y avait 7 clients, il y en a plus que trois. Je chante Harvest de Neil Young. Passent des hollandais, qui la veille, m'avaient vue chanter à la marina de Funchal le soir, et s'étaient levés pour venir me remercier tout spécialement d'avoir chanté le Port d'Amsterdam. La femme se pécipite sur moi en clappant des mains en rythme sur la chanson, et me dis que c'est une de ses préférés, le bonheur sur son visage! Elle prend son mari, se met à danser avec lui, me regarde rayonnante. J'étais bien contente, ça fait plaisir! Elle glisse 5 euros, et "you made my day"! The pleasure is mine, thank you! Un autre client me glisse aussi un billet de 5, et bientôt il n'y a plus que deux locaux qui bouffent une pizza, et personne qui arrive à l'horizon... D'un glauque! 3 chanson, soit 10mn, 10 euros, c'est peut-être le moment de partir... Je clic-clac et pars dans le café d'à côté boire un coup en attendant un meilleur moment. La vache ne se soulage plus, je repère que ma précédente terrasse se remplit, j'y vais, je peux chanter sous le préau s'il vous plaît. Ouais... mais si les clients s'en vont, tu pars avec eux... Pfffff nen mais pour qui tu me prends! Comme si j'allais les faire fuir, nen mais dans quel monde on vit???! Je m'installe, je chante.
Ma journée a éte difficile, une enguelade, la pluie, le charriot qui pèse une tonne, j'ai une voix que je n'ai jamais encore entendue, très claire, mais très fragile, mélancotriste. Je réalise en chantant que je suis un peu plus touchée, ou touchable, que je ne le pense être. Mais c'est joli, moi en tout cas, j'aime beaucoup. Et le jeune homme qui est juste devant moi avec un couple d'amis aussi. Leaving on the jetplane et je l'aime à mourir sont tellemet douces, que les tourtereaux commencent à se rouler des pelles à répetitions, sans-gênes, devant le pauvre qui tient la chandelle, et ne me lâche du coup, plus du tout du regard... La terrasse se remplit, puis elle est pleine, quasi tout le monde applaudit à chaque fois, mission accomplie, je suis l'Alexandre le Grand, le Guillaume le Conquérant de la terrasse de café. Je chante 1h30. Mon seul souci, c'est qu'ayant commencé un peu tôt, je termine un peu tôt, personne n'a finit son repas, personne ne sort de table, et donc personne ne passe par ma boîte à sous.... Je vais donc voir les deux restos qui partagent la terrasse et après m'être incrustée en beauté, je demande si je peux maintenant, par dessus le marché, passer de table en table avec ma boîte. C'est oui de toutes part... Chouette! Je monte sur mon tabouret, prend mon micro, explique d'où je viens, comment, où je vais, comment, ce que je fais, pourquoi, et de quoi j'ai besoin, money money! je vais passer avec ma boiboite, péparez les sousous! Je passe de tables en tables, fais un brin de causette avec chacun, d'où venez vous? Merci beaucoup! J'arrive à la dernière table, on me propose un ponch, je m'asseois, je compte, 52 euros, chouette. En tout pour 1h40, 62 euros, bad day but good money! Mon seul soucis c'est qu'il pleut des cordes et que je ne peux pas rentrer. je vais voir le boss de la pizzéria. Dis, tu connaîtrais pas quelqu'un qui peut m'amener à Funchal en voiture? Attends moi une heure, je te dépose. Merci! Je ponche avec un français, un turque et une estonienne, le boss débarque, me dépose à l'hostel, monte tout mon barda à la reception, et me dit de revenir vendredi soir, ça sera encore plus blindé et tu te feras encore plus d'argent, nous on adore en tout cas. Merci merci!