Les tchèques et moi, on est solidaire, je partage leur galère, je la fais mienne. Ils n'ont pas d'argent, mais ils m'accueillent sur leur bateau quand je chante à Quinta, me donnent à manger, me donnent à boire, me parlent en tchèque, me racontent leur pays, leur histoire. Ils sont courageux, et en ce moment, ils sont dans la mouise jusqu'au cou. N'ayant plus un kopeck, ils ont dû partir il ya 4 jours au mouillage, car ils ne pouvaient plus s'offrir les prix exhorbitants de la marina de Quinta. Mais il s'est mis à pleuvoir, à venter, et leur roots boat ne leur permettait pas de rester à l'ancre en sécurité. Ils sont donc rentrés penauds à la marina, avec juste assez d'argent en poche pour pouvoir se payer 3 jours de tranquilité. Ensuite, une fois la mini transat partie, ils pourront aller à la marina de Funchal, beaucoup moins chère, et située dans la capitale, et qui dit capitale dit job, qui dit job dit sousous, qui dit sousous dit voyage...
Ayant juste de quoi payer la marina, ils n'ont plus d'argent pour la nourriture. C'est leur problème. Mon problème à moi, c'est que je ne trouve pas de bar avec une license me permettant de jouer. Je n'ai pas trop le temps ni l'énergie de chercher non plus, entre les répètes, les concerts, les aller-retour entre Quinta et Funchal (40mn en voiture) avec tout mon bazar, et les moments oú je dois me reposer, la fatigue, physique ou émotionnelle, n'étant jamais très loin, c'est diffile.
Hier, c'est la crise sur Alya. Je fume une cigarette sur le pont, reposée, mais un peu angoissée à l'idée de devoir encore me balader, guitare au dos et à pied, dans les rues qui montent et qui descendent de Funchal, pour trouver un bar où chanter. Et j'en ai marre des oui, qui se transforment en non, des espoirs faussés, des déceptions harrassantes. J'entends des cris, ça se dispute en tchèque, il y a des "kurva", des "pardel", c'est pas bon signe. Je descend: "Tso? what's going on?". On ne veut rien dire, mais j'insiste. "We don't have enough money to pay for the marina, AND to buy some food, we don't know what to do." Moi je demande combien c'est. C'est fifty-four. Ça fait 1h30 de chant. C'est mes potes, ils m'ont accueilli, s'ils n'ont plus de bouffe, je suis en partie responsable, don't worry, I pay for it, you pay me back when you find a job and get some money. Yes but what if you leave? Western union. Ils sont trop gênés. Moi aussi. C'est toujours délicat les problèmes d'argent entre amis. Mais bon, là, je vais quand même pas les laisser crever de faim, ça fait dix jours qu'ils bouffent des pâtes au dejeuner et au dinner, pas cool. Les coffres sont vraiment vides, je les ai vu. Je vais à l'office, je tente d'avoir les trois jours gratis, c'est non, un discount, c'est non, fils de putes, bon allez, aboule la game boy, kurva.
Soulagement des tchèques, diké motz crazy french girl, neni zatch tivole, on va fêter ça autour des derniers...grammes de pâtes qu'il nous reste! Fakt dubri tivole! Bon, les tchèques sont rassurés, mais moi, j'ai un trou de 50 euros dans mes finances, et pas de nouveau bar pour me remplir un peu plus les poches. Et en plus il pleut depuis deux jours, et s'il pleut samedi, cette foi-ci je chanterai pas dans le bar, parce que ce week-end c'est October Feist et il y aura personne. Je suis bien embêtée. On squatte à l'intérieur, averses oblige, j'apprends des nouveaux mots en tchèque, au point qu'une très modeste compo me vient, on la filme, on rigole bien parce qu'on sait tous ce que ça veut dire, on la mettra sur la page des tchèques, te moootz tivole, kurva fakt dubri, seim profik...Le soleil revient, je monte sur le pont avec Maya pour café-clopper. je me confie. "I am fed up with depending on the damn fucking bars to sing, I would like to be independant, go in the street, just sing there and get the money from the people... But I need a damn fucking battery, ans I don't have any, so I will have to fucking buy it, and I will spend some fucking more money, I am fucking tired of all this..." Maya cogite..."Martin is electrician you know, and we have some batteries on the boat, we can ask him to see if he can manage to do something about it.." Lueur:"Yes, why not? Good Idea!" Elle va chercher Martin qui est aprti quelque part, on ne sait où. En attendant je me dirige vers les douches. En chemin j'apperçois de loin un beau tigre grand, jeune et bronzé, j'ai vu qu'il était sur un bon voilier avec quatre personnnes, je vais demander où ils vont. Je l'aborde: "Desculpe, where are you heading to?" "oh, it's the end of the trip, we go back to Australia by plane tomorrow" "Oh, shoot." I'm Andreas, what is your name? I'm Anna, I want to go on a boat to brazil. I'm french, are you from austria or australia? actually I am from Peru, I study in Vienna. Oh me encanta america del sur, pase 7 meses en argentina, me encanta hablar castellano. Que bueno, asi podes practicar un poquito conmigo si querres, etc.... On tchatche tranquilou de tout et de rien pendant un quart d'heure, jusqu'à ce que Martin revienne avec Maya, come on Anna, let's see what we can do, I think I can find a solution. Great, che Andreas, nos vemos! Si nenita, nos vemos, hasta luego!
On va au bateau, Martin se met au travail et nous vire de la cabine, dehors les meufs, je veux personne autour de moi quand je bosse. On va sur le pont et on admire les jeunes éphèbes autrichiens qui débarquent leur bateau. Maya me demande, crazy french girl, il a l'air de te plaire le gros chat, ah c'est sûr qu'il est à mon goût, en plus il est sudaméricain, penses-tu, c'est trop bête qu'ils partent demain... hano. Tout d'un coup, le gros chat se dirige vers notre catway, deux gros sacs dans les bras. Che, tenemos comida que sobre, ustedes necesitan? Maya ouvre des yeux grands comme les hublots du Queen Mary, yes of course! We need everything, we don't have nothing!!! On ouvre les sacs, il y a du saucisson, du jambon, du gouda, des patates, de l'ail, des oignons, du beurre, du lait, des céréales, du riz, des gâteaux, de tout! Le gros chat repart après m'avoir laissé son numéro de portable pour que je les appelle ce soir quand ils iront October feister à Funchal, Maya n'est que gratitude et remerciements, you are crazy, crazy french girl, you are so lucky! Martin est trop content, et moi, je remercie la vierge, ma bonne étoile, le Grand Ordinateur, la vie, de me permettre de pouvoir donner autant de bonheur à mes crazy potes. Vingt minutes plus tard, un autre gros chat, blond cette fois-ci, arrive avec un autre sac, encore du lait, des patates, et des gâteaux. Te mootz, It's too much!!! Ils sont the "austrian angels", danke danke!! Yes yes, I call you tonight when i get to Funchal, OF COURSE!!!
20 minutes plus tard, Martin me dit de venir faire un essai avec le matos de musique. Surréaliste branchement de guitare et jamman sur Alya, et... ça marche!!!! Ok, la batterie est à toi! Attends attends. On va faire un deal. Cette batterie me fait économiser de l'argent et elle va me permettre d'en gagner. Si je l'utilise, vous ne me remboursez pas la marina, un prêté pour un rendu, ça marche? we have a deal? We have deal, crazy french girl! Joie, bonheur, plénitude sur maya, je fais la tchèque compo à deux voix grâce au jamman, frissons de bonheur de toutes parts...Les tchèques et moi, c'est à la vie à la mort, un pour tous et tous pour un. Ils arrivent samedi à Funchal, j'achète un charriot métallqiue comme les roumains du métro, un parasol, une boîte à fric, une boite imperméable pour metrre la batterie qui craint la chaleur et la pluie, et dimanche, je fais les sorties de messe, les rues piétonnes, la marina, les shopping center, tudo! Je suis libre comme l'air désormais, indépedante, autonome, et les passants vont juste m'a-do-rer!