J'y vais mais j'ai peur. Mais j'y vais. Au culot, comme d'hab, ça m'a toujours réussi. Nyels est là, qui veillera sur moi et mes affaires pendant que je performe dans ce pays si différent du mien. Je m'installe, on est rivés sur moi. Je suis en plein milieu, je ne me fais pas discrète, ça n'est pas le but de toute façon. Je commence, liberta, brutte de décoffrage, sans parlotte préambulaire. Je me présente. On comprend l'arabe, l'espagnol, le français, mais j'ai décidé de parler le petit nègre, va savoir pourquoi. Moi Jane, toi Tarzan, et ça c'est boî-boîte à sousous. En m'aidant de gestes, je discours:
- Bsaljer jouia, rortie, moi, Anna, 25 ans, française, voyage, musique. Chouf, chouf! *
Et là je prend un billet et le glisse dans ma boîte qui trône devant moi.
- Bravo, choucrane lacomb!
Et j'enchaîne. Pendant que je joue, surprise, miracle, des marrocains s'approchent et me glissent sousous dans boi-boîte, hallu totale! ça marche! ouaja!
La place est en front de mer, vaste et rectagulaire. je suis au milieu, les gens sont sur des bancs, ou posés sur la rembarde du pourtour. je suis toute seule au milieu de nulle part, et je m'apprête à affronter les vents marrocains. Ils sont t-rès bons publics, et applaudiossent bien, plus et mieux qu'en Europe. mais ils sont très loin de moi, je suis isolée au centre, c'est un peu spécial. Mais je ne resterai pas seule longtemps. Bientôt un fou trisomique complètement édenté s'approche, en tapant dans ses mains et poussant des hurlements hystériques. Je ne m'affolle pas, confiance. Il finit par s'asseoir à côté de moi, ivre de bonheur, en ofrant le spectacle insolite de notre couple atypique, moi assise sur mon tabouret chantant doucement, lui assis, battant l'air de ses bras, hurlant à tous les points cardinaux. Puis il s'en va, les gamins viennent le remplacer. Ils tournent autour de mon matériel, passent en roller ou vélo à toute blinde entre l'ampli et le pied de micro, se disputent et hurlent à côté de mes oreilles au point que je dois les reprendre, et les passants avec moi, plusieurs fois. Puis la foule (ou presque), se resserre et s'attroupe autour de moi, du bruit, du mouvement, ce peuple là n'est pas calme, énergie difficile à canaliser. Je me concentre avec difficulté, et commence à me fatiguer. Je chante blowing in the wind et une quinzaine de jeunes débarquent et en se tenant par les bras, ils se balancent en une vague humaine que je regarde onduler avec bonheur. Je retrouve les accords d'une chanson marrocaine apprise à quinze ans lors d'une tournée avec la chorale, et la leur chante à deux voix avec le jamman, moment de grâce oriental. Je termine, devant des voileux du rids assez étonnés, remballe tout, nous partons tous ensemble à l'hôtel, où je me pavane avec ma boite contenant euros, dirhams et billet doux, pour la modique valeur de 40 euros, une belle performance. Je décide de ne pas aller au rendez-vous avec l'hôtel de luxe, je vais rechanter dans la rue le lendemain, ça sera beaucoup mieux.
Je suis très heureuse. Ce concert réussi me donne confiance en la vie, en l'humain et en sa bonté, me lave de toute ma prétentieuse parano de jeune fille des beaux quartiers. J'aime la vie, les gens, la musique, j'adore le Marroc.