mardi 29 septembre 2009

The french girl in live


Je m'installe donc, à 18h, le soleil est encore haut et m'arrive en pleine figure. Je porte une marinière, histoire de jouer le petit matelot. Je suis très à l'aise. Ça fait une semaine que je traine mes tongs sur les catway en sifflant, sur les ponts en jouant de la guitare, je connais plein de monde, je suis à la maison. Pour une fois je n'ai pas honte de me présenter. Je suis Anne, french-girl, bateau-stoppeuse, et je veux traverser l'Atlantique en voilier pour aller chanter au Brésil. Et vous, d'où venez vous? England, Slovenia, Allemagne, et Chili. Good evening, Gutenacht, how do you say good evening in Slovenia, buenas noches muchacho. Le chilien me plaît beaucoup. Il a l'air d'un vieux loup de mer avec sa belle barbe blanche et sa pipe. Vas en Chile con el velero muchacho? Si. Y puedo venir con vos? ah ah! Veremos.... Il reste un peu sur ses gardes, mais ayant à mon répertoire quelques chansons argentines, je me charge de le dérider; lui, c'est mon chouchou. Je commence par des morceaux que je connais bien, mais le sol étant pavé, je fais des ratés avec le jamman (boucleur à pédales). Pas d'affollement, j'en profite pour expliquer quelle est cette drôle de machine qui me permet de faire des deuxièmes voix, exemple à l'appui, tout le monde est absolument intrigué, je les laisse papoter et cours chercher une plaque lisse pour poser ma boîte magique. Bien installée je reprends, et à chaque fois que je chante une chanson en espagnol je fais un clin d'oeil à mon loup de mer en disant :
" Che muchacho, una cancion para vos" et il opine du chef en me souriant des yeux, je le gagne petit à petit à ma cause... Dès que je remarque de nouveaux arrivants, si je les connais je signale leur nationalité, sinon je la leur demande et les accueille dans leur langue, si je la parle. Régulièrement je hèle l'audience qui augmente au fur et à mesure de la soirée: "If you don't already know it, I want to go on a boat to go to brazil, I know how to sail, I am a good cook, and I promess I won't sing!!" L'audience s'exclame, se gausse, elle est conquise. Je chante un Port d'Amsterdam à faire pleurer les vieux loups, un belge me remercie, et dis moi, connais-tu "Le plat pays qui est le mien"? Non. Il faut l'apprendre! Et vous me prenez sur votre bateau si je le chante mercredi prochain? On verra, j'ai un grand catamaran. Oh, vous me faites rêver.... Je viens vous voir après le concert! The show goes on, quelques pains, innévitables à la guitare, première fois de ma vie que je chante trois heures, j'ai dû apprendre des chansons en quatrième vitesse, mais je triche un peu sur le temps en prenant à parti mon public, je disserte sur l'amour-haine qui tient l'Argentine au Chili, l'Angleterre à la France, sur l'éternelle neutralité qu'affectionnent tant les suisses, qui veulent rester en dehors de l'Union Européenne, et qui ont pourtant une partie de l'Europe représentée au sein leur pays, l'Allemagne, l'Italie, et la France. Je me rends compte que les voyages et les rencontres que je fais servent complètement mon art, et animent le concert, juste comme je l'avais imaginé avant de partir, tout comme je tentais de le démontrer à mes parents, qui interloqués, me demandaient pourquoi je ne faisais pas ce que je prétendais faire à l'étranger, dans mon propre pays. Mais qu'est-ce que je trouverais à dire à mes compatriotes? Alors, toujours aussi râleurs? Il est méchant Sarko? C'est bon le fromage qui pue? (petite crise, pardon). Jamais je ne m'étais sentie aussi à l'aise avec le public. La jamman marche du tonnerre et les harmonies enchantent les oreilles des sailers. Je prends une pause. La patronne me saute dessus, viens il faut que je te parle! Ok je te suis. Bon, ça me plaît beaucoup. C'est vrai?!!! Oui, et j'aime bien quand tu parles au public, it's good communication. Je pense que tu vas faire les mercredis et les samedis, mais il faut que tu commences un peu plus tôt, à 18h pétantes, quand les touristes reviennent de l'excursion en catamaran, comme ça ils t'entendent et ils restent boire un verre. Il faut que le mercredi tu fasses quelque chose de diffèrent du samedi. (Merde, il faut que j'apprenne 20 nouvelles chansons pour mercredi.). Let's talk about the remunaration. YES! Do you want something to eat? No, I am not hungry. Something to drink? No. Do you want oil tickets, food tickets? Mais qu'est-ce que tu me chantes là? Tu veux me payer avec du pétrole???! des tickets restos???!! Tu vas me proposer des paquets de clopes et des kilos de cacahuètes?? Elle débloque. Ok. Serial mythomAnne prend les choses en main: "when I was in France, I was teaching guitar, I took 20 euros for one hour. Here it's different because it's more difficult than teaching, it's performing you know, so what about 40 euros an hour?" Je suis dans la Medina de Marrakesh, je vise haut pour faire semblant de baisser mon prix, dans ma très grande mansuétude... Thérèse de Calcutta. "It's too expensive, the financial department won't agree." Bien sûr, à l'attaque!!! Tarzan:" Ok, we cut the apple in half, 30 euros, what do you think?" Hésitation de Jane. J'attrape une liane, je saute:" I bought the equipment you know, you didn't have to invest a penny..." "Ok, 30 euros an hour, it's ok". YES!
Je vais voir ma table d'anglais, Sue et on ne saura jamais son nom parce qu'on a jamais été capable de le retenir, sont venus exprès de Caniçal oú ils s'étaient exilés pour me voir chanter. You have a lovely voice, you are a very special girl... Stop! Je vais blusher!!! Je ne me sens plus de joie, j'ouvre un large bec et remercie à tout va. The show must go on, et c'est reparti pour 1h30 de live french girl. Una ultima cancion en castellano, para vos muchacho... Là, il sourit carrément avec la bouche... Fondu, le glacier chilien! A la fin de la chanson, il se lève, vient me remercier et me glisse un billet de 10 dans les mains, gracias muchacho! Come to see me on te boat, mais je m'abstiendrai. J'ai une nouvelle règle, ne plus jamais monter seule avec un homme, si âgé soit-il, on connaît les ravages que je fais chez le troisième âge....Arrive le dernier morceau, l'apothéose, le bouquet final. Je l'avais bossé toute la journée, minuté, chronométré. L.O.V.E, Nat King Cole, un couplet, un refrain, en boucle sur le jamman. J'ai eu un peu de mal à le faire démarrer car dans l'obscurité je ne trouvais plus mon oeuf shaker, mais une fois lancé, il a tout déchiré. J'enregistre donc en boucle les accords. Je pose la première voix du couplet, puis du refrain. Ensuite la deuxième voix. Puis, à la surprise génerale, je me lève, crie "I need your help now!". Je cours chercher mon catamaran belge (sa femme arrive lundi, avec lui je peux embarquer), lui colle le shaker dans les mains en lui disant de le faire shaker bien devant le micro. Il s'éclate, ses copains sont morts de rire. Je vais à une autre table, emprunte un couteau et une coupe, rejoint mon belge, et on percutionne tous les deux. Il pète avec sa bouche dans le micro, ses copains se pissent dessus. Ensuite je lui prends le shaker des mains, l'attrappe par le bras, lui dis que maintenant, Rabbi Jaccob, il va danser! Et on rock n'roll devant l'assistance clappant des palmes. Il me tord le bras, je l'abandonne, le remercie, et lui demande "you take me on your boat??? Please, please!!!" et ils tombent tous de leurs chaises. Je finis la chanson, succès total, encore encore!!! Je termine avec la première chanson, Liberta, tout le monde se calme, rideau. Ouf, soulagement, bonheur, tout s'est bien passé! La patronne me ressaute dessus, nice, verry nice, really. It's still ok for the 30 euros? Yes. So it's 9h30, I sang three hours like you asked, so it is 90 euros, it's ok? Yes, 90 euros, ok. GREAT! Un couple de je ne sais pas quoi qui parlent français vient me voir, et me glissent 5 euros, ça fait donc 105 euros en trois heures!!!! Pour atteindre une telle somme avec mon ancien métier, nounou, il aurait fallu que je bosse 15h! Tout simplement géant. Je rejoins mes copains suisses, les tchèques ont dû partir à Funchal rencontrer d'autres tchèques qui vont les aider à trouver un job. Ça veut dire que Martin reste! Plénitude, félicité, heaven, I'm in heaven. Patrick le fou qui fait de l'hauturière avec un 6.50 et qui va à Funchal à vélo (3h aller, 3h retour, et c'est une île montagneuse, ups and downs my friends...), et Anne la bateau-stoppeuse qui garde un voilier seule pendant trois semaines sont là. Compliments de toutes part, trop chouette, jolie voix, du talent, bon feeling, tout ça tout ça, ça y est, je suis mordue, je ne veux faire que ça, déjà qu'avant le concert ça me plaisait à moi, mais maintenant que ça plaît aux autres, pas d'hésitation, j'y vais, je fonce, je suis partout, sur toutes les balles, je mets toute ma patate dans le revers! Les suisses disent, you have to come to switzerland, je leurs dis que je leurs ramènerai des p'tits suisses, on est tous trop contents, c'est la fête. Les anglais partent, on échange les e-mails, see you french girl!
On continue à discuter avec les suisses, Patrick et Anne, puis Anne m'emmène sur Pétunia, elle m'invite à dormir dedans, énorme voilier trop classe à l'intérieur, j'hallucine complet, mais suis incapable de trouver le sommeil malgré le confort de ma couchette, je n'arrive pas à croire ce qui m'arrive. Je pars fumer des clopes sur les catway. Je croise Martin le tchèque qui revient de Funchal, et hop il m'emmène sur son bateau, Maya va nous faire des pâtes, te moootz, fakt dubri! Moment trop sympas avec les tchèques, ils vont avoir un job, j'ai chanté, on est tous trop content, the crazy group célèbre ça autour de spaghettis carbos et chocolat chaud. Je repars sur Pétu, et m'endors enfin, d'un sommeil bienheureux.