jeudi 24 septembre 2009

Des enchantements


Nous arrivâmes à Porto Santo, une petite île au nord de Madère, pendant la nuit, et en silence. Chacun notre tour nous barrions, et nous avions le regard fixé sur cette vision surréaliste après presque dix jours en pleine mer et loin des côtes, de cailloux qui émergeaient de l'eau, baignant dans un hâlo de lumière. Je ne sais pas comment se sentait Denis, mais moi j'avais l'impression d'être en plein rêve, et je ne pouvais croire que devant nous se dressait la terre. Je regardais, mais je ne voyais pas, je ne réalisais pas.
A 4h du matin, nous étions au mouillage, dans la marina de Porto Santo.
Soudain, plus de bruit, plus de clapot, plus de vent.
Le silence, le calme, la stabilité.
Angoissant, déprimant.
J'étais complètement épuisée, mais ne voulais pas me coucher. La tranquilité de ma couchette ne m'attirait absolument pas.
Nous nous félicitâmes avec Denis, nous fîmes la bise pour la seconde fois de notre vie, ce que je trouvai proprement ridicule; pourquoi, sous prétexte que nous étions rendus à la civilisation, devions nous changer notre comportement et avoir des réflexes que nous n'avions jamais eu en mer?
Il alla se coucher, je fumai une cigarette allongée sur le balcon avant en écoutant la douce musique de "mad world". Dans le ciel, beaucoup moins d'étoiles, autour de nous, du béton, à terre, les gens. Back to the mad world, justement.
Finalement, sans tomber, sans me cogner, sans trébucher, j'allai sur ma couchette, et m'endormis d'un sommeil lourd, ou plutôt, d'un sommeil pesant.
Le lendemain, il pleuvait. Temps pourri. Humeur désastreuse. J'entendis Denis s'activer sur le pont. J'enfilai sans me changer ni brosser mes dents, ma salopette ciré adorée et grimpai sur le pont donner un coup de main. Il me mis au moteur pour préparer l'accostage sur le catway. Je m'éxécutai, m'assis sur le coffre la barre à la main, et pour la première fois depuis le début de ce voyage, alors qu'à maintes reprises l'occasion m'en avait déjà éte donnée, je pleurai. Discrètement, tout doucement, des grosses larmes d'une tristesse infinie coulaient sur mes joues. Il pleuvait dans ma tête, il pleuvait dans mon âme, il pleuvait dans mon coeur. Je regardais la mer, les montagnes, le béton, j'étais complètement et profondément déprimée, et je ne pouvais plus m´arrêter. Denis revins vers moi, et je tournai bien vite la tête pour tout sécher, mais au fond de moi, il tombait des cordes.

Lorsque nous accostâmes, je sautai sur le pont et me rétamai royalement sur le derrière mon pied à peine posé par terre, devant un douanier mort de rire, que je fusillai aussitôt du regard. Je n'avais plus le sens de l'humour, et j'avais mal aux fesses. Nous nous rendîmes à son bureau. Sur le trajet, j'avais des sueurs froides, des frissons, je ne pouvais pas marcher droit, j'avais envie de pleurer, j'avais envie de vomir. Je regardais d'un air désespéré le douanier marcher devant moi, je le trouvais affreux, le port était affreux, le troquet de la marina O Pato Bravo était affreux, les portugais étaient affreux, tout était affreux.
Dans soñ bureau, le douanier inscrivit nos noms sur le registre. Evidemment, il buta sur le mien, Anne de Poilloue de Saint perier de Kergorlay, pour Jose Drumond, c'était du charabia. Cela m'obligea à faire preuve de patience et d'amabilité, je m'efforçai donc de sourire, ce qui causa un renversement total de mes sensations. Maintenant j'étais victime d'un fou rire irrépressible, toujours frissonnant et suant, je contenais très difficilement mon sérieux devant José. Surtout lorsqu'il me demanda si je connaissais Madonna, et qu'il se mit a fredonner (il avait une cinquantaine d'année) avec une voix de fausset "I don't wanna hear, I don't wanna know, please don't say you're sorry..."
Ensuite, il me dit que j'étais une jolie française, et demanda à Denis si j´étais sa fille. Non. Sa femme? Non plus. Le douanier claironna que sa femme avait 27 ans, ce qui expliquait sa connaissance experte des paroles de Madonna. Denis murmura un "il y en a qui ont bien de la chance" en se retournant vers moi, et de nouveau, j'eus envie de pleurer.
En me levant je tanguais toujours, et nous nous dirigeâmes vers le Pato Bravo. Cafe cum leite, cafe solo. Denis mis son portable à l'oreille, je sifflai que j'étais bien contente que le mien ne marche pas à l'étranger, je n'avais aucune envie de me "connecter". Denis me le tendit quand même, et je l'allumai à tout hasard. Oh! je peux écouter mes messages. J'écoutai et cru mourir de bonheur; désistement sur Pen ar Clos, je dois rappeler Jean-Claude au plus vite. Message du 5 septembre, jour du départ. Stress, énorme, était-ce toujours d'actualité? J'appelai immédiatement. Jean-Claude était en train de déjeuner, il me rappellerait plus tard. Surexcitation d'Anne, hallu totale de Denis, décidément, t'as le cul bordé de nouilles toi. J'appelai ensuite Papa et Maman, rassurés, heureux, je leurs cachai tout de ma découverte à propos de Denis le voluptueux, mais appelai tout de suite les copines pour tout dire, vider mon sac et me soulager un peu de cette terrible nouvelle.
Fin des coups de fil des deux côtés. Seule avec Denis à Porto Santo, l'angoisse.... Surtout que maintenant qu'on était à terre, il devenait tactile, voulait me prendre à parti en me touchant le bras, la main, ou la jambe, j'en avais froid dans le dos. Je faisais des bonds de trois mètres à chaque fois qu'il posait la main sur moi, et à la fin je ne lui laissai même plus l'occasion de la poser, j'anticipai, j'étais en mode "on esquive Denis", et me reculais ou me décalais dès que je sentais que le voluptueux allait frapper.
Très vite je cherchai des péretextes pour être seule, ou plutôt, pour ne pas être avec Denis. Je le tenais en sainte horreur. La douche, c'est bien ça. Je peux avoir la clef s'il te plaît? Fais gaffe j'ai fait un double... Ah ah. Très drôle.
J'allai dans la douche, oh! une glace. La première que je voyais dix jours. Chouettouille, j'étais toute mince. Ventre plat, il y avait des fesses, il y restait des seins, vive l'hauturier! Double chouetouille, j'étais toute bronzée, mes cheveux étaient dorés. Merdouille, j'allais sentir bon, j'allais être propre, Denis allait tomber.
Ne pas trop frotter, ne pas mettre de crème, ne pas se coiffer, le minimum vital. Jean-Claude appela, me dit d'appeler Eric Dumont, qui me dit que la place était prise. Mais tout étonné qu'il était de mon histoire et de ma démarche, il me promit de m'envoyer le mail de tous les chefs d'équipage des bateaux accompagnateur de la course. Merci Rico!!!

En sortant de la salle de bain, je vois (on passe au présent, j'en ai marre du passé simple) des vacanciers rentrant de la plage à côté de la Marina, qui s'engouffrent dans un break. "Perdon, eu vo ir no centro, e posible por favor? sim, sim." Ils comprennent le portugol, c'est cool. Je textotte Denis que j'ai trouvé une voiture et qu'on se retrouve dans deux heures au cyber du centre. Deux heures de liberté, YES! Je me précipite sur un computeur, écris message culotte aux chefs d'équipages, écris blog, écris mail. 20h déjà. Oh non. Je vais devoir me tapper ballade romantique dans le village avec Denis. On se ballade, on lèche-vitrine, on achète repas du soir, on retourne à Gédéon. Je constate avec bonheur que la terre offre un avantage non-négligeable, celui de pouvoir cuisiner en toute stabilite. Petit vin blanc et côtes de porcs m'aident à oublier ma répulsion pour Denis, on mange bien, et on discute très gentiment jusque tard.
Le lendemain, Denis me dégoûte toujours, je me lève hypra tôt pour aller prendre mon café tranquilou au Pato Bravo. Je m'apprête à allumer ma cigarette, mon café fumant devant moi, quand je vois Denis qui rapplique. Zut flutte crotte. On fait quoi aujourd'hui? Bah moi je dois aller voir si j'ai pas des réponses des skipper, il faut que j'aille tout de suite au centre. Je t'accompagne. AAAAAAAAAAAhhhhhhhhhhhhhhh!!!! Et ça sera comme ça tout le temps. L'ours et la poupée, c'était devenu le chat et la souris. Moi qui invente mille prétextes pour aller écrire le blog sur internet, ma meilleure amie se fiance, mon ex me manque, ma vieille tante est malade, ma chienne va accoucher, etc... etc...

Reinaldo le couchsurfer vient me chercher, la suite au prochain épisode.