jeudi 17 septembre 2009

Le pire est passé, le meiileur est à venir

Ce matin là, dit "matin du drame", j'étais donc arrivée à l'apogée de la sottise. Pendant trois jours j'avais gravi pente par pente le mont Idiot, je culminais à son sommet, et trônait là, impériale, souveraine, reine des connes. Il faut bien être la reine de quelque chose, j'avais choisi la connerie: c'est simple, facile, accès direct au poste, pas besoin de se casser la tête, il me suffisait d´être moi-même, blonde devant l'éternel. Au passage je bénissai le ciel d'avoir eu la judicieuse idée de me faire teindre, je serais restée blonde, j'en aurais pris pour mon grade, Denis l'affreux ne se serait pas privé.

Après ce fâcheux évènement (j'étais meurtrie que Denis ne m'aie pas laissé réparer les toilettes, ç'eût été pour moi l'occasion de briller de mille feux, de révéler mes talents cachés de docteur es WC, cela aurait peut-être même suscité un début d'admiration chez mon desperate captain), très étrangement la situation se décanta. Denis était un peu moins sec, un peu plus affable, il m'adressait de temps en temps la parole, nos échanges avaient la brèveté filante des étoiles mourantes, mais au moins, échanges il y avait, à l'issue desquels je n´'étais pas obligatoirement rabaissée dans mon orgueil.
Comme se décantait la situation, mon estomac reprenait de sa souplesse, et le creux se faisait moins profond. Je constatai en plus avec bonheur que ma petite bedaine, acquise par un abus de consommation de viande argentine l'année dernière, avait presque disparu, et je me passais une main satisfaite sur le ventre, le tapotant affectueusement, le félicitant de sa bravoure, le réconfortant de mes caresses des horreurs qu'il avait subi ces trois derniers jours. A toute chose malheur est bon...

La vie commença à couler tout doucement sur le bateau; un semblant d'harmonie, ou tout du moins de paix, montra le bout de son nez. Chacun dans son territoire, Denis au bureau, moi sur le pont, vaquait à ses occupations, les miennes consistant à me repaître du constant spectacle qu'offraient à mes yeux ébahis et à mon esprit rêveur, le soleil scintillant et la chatoyante mer.
Je pensais à vous, imaginais où était l'un, que faisait l'autre, puis je revenais à moi, et souriais de bonheur en pensant que ma situation n'était à nulle autre pareille. Malgré tous ces malheurs, je me félicitais d´être partie, et me disait que je n'avais absolument rien à envier à personne. Incroyable. Je ressentais une étrange sensation de plénitude, j'étais au sommet de la connerie, mais j'y étais bien. J'avais pour courtisans trois élements puissants, dont la beauté me sidérait, et m'emplissait d'un bonheur sans égal. Je regardais Gédéon avancer vers mon avenir, et remerciais en mon fort intérieur Denis l'affreux de m'avoir traité de la sorte: ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Prenant du recul, je m'apperçus que pas une fois je n'avais bronché, pas une fois je n'avais perdu mon calme, pas une fois je n'avais même versé de larmes alors qu'ils furent nombreux les moments oú je voulus fondre en sanglot, sentant une grosse boule venant entraver ma trachée. Bizarrement, siègeant fiérement sur le trône de ma bêtise, je me sentis presque intelligente, mais je me ravisai bien vite. Mieux valait me prendre pour aussi bête que Denis me pensait être, il restait encore 7 jours, j'avais le temps de faire mille autre choses qui pourraient me propulser directement au statut d'impératrice intersidérale de la connerie. Si je commençai à moi-même remonter dans ma propre estime, je serais forcément déçue. Reine de la connerie c'était parfait, je pouvais monter plus haut, ne pouvais pas tomber plus bas.
Contente, satisfaite, bienheureuse imbécile, je regardai le soleil se coucher en poussant des soupirs d'émerveillements, une floppée de "holala" venant remplacer ce qui habituellement me sortait de la bouche. La source de mon mal s'était presque tarie, Denis, semblait s´être calmé, et enfin, j'étais bien.


Au matin du quatrième jour, la discrète harmonie avait finalement pris ses quartiers sur le bateau, et les remontrances de Denis avaient muté en de taquines vannes. Denis, enfin, semblait s´être apperçu que le boulet pouvait être d'une agréable compagnie. Après une manoeuvre que je faillis rater, et où Denis se retint de me lyncher une fois de plus (je notai un réel progrès chez le sujet), il me dit:
- Ah c'est une expérience hein!
- Ah bah ça c'est sûr...
Je ne pouvais pas encore manger normalement, à vrai dire, j'avais peur de manger, je ne voulais pas remonter sur mon cheval, j'avais trop souffert. Mais je disais à Denis à l'heure des repas que oui j'avais faim (ce qui avait l'air de lui faire plaisir, stratégie, quand tu nous tiens!), et je prenais mon assiette sur le pont, lui en cabine. Après deux ou trois bouchées que je m'appliquait à macher lentement et longtemps, je sentais des raideurs dans l'estomac, et discrètement jetai le contenu de mon assiette aux poissons, la rendant 5mn après qu'il me l' eût donné, entièrement vide à Denis. Il devait se dire que j'étais bien remise, et que je me transformais en morphale mangeant avec un lance-pierre... Et cela avait l'air d'adoucir son mauvais caractère. Je biberonnais toujours autant de coca sans bulle, histoire d'ingérer quelques calories. En arrivant j'avais dit à Denis que je n'en boirais pas, et en 4 jours j'avais sifflé 8 cannettes.
Je fumais pas mal. Sans doute un signe du stress que me causait la tension accumulée des 3 jours précedent. Denis me dit:
- T'es une cheminée, un vrai pot à tabac ma parole!
- Ouais, chui un sapeur.
- Mais tu pues, mais ça pue la cigarette, c'est désagréable!
- Et alors? j'ai personne à séduire, et puis la bière (Denis en buvait) ça sent pas la rose non plus...
- Je vais t'appeler miss pot a tabac, j'vais te faire arrêter de fumer en te donnant une mauvaise image de toi même!
Je sautai sur l'occase, la perche était trop belle, je répondis, goguenarde:
- Ah parce que tu crois que c'est pas déjà fait???!!!!!
Là, il perdit de sa superbe. Et rentra au bureau. Le bourreau avait-il des remords? Je n'osais y croire, et en même temps m'en voulut un peu. Quelle conne, on commençait à discuter normalement et moi je viens lui foutre le nez dans sa merde comme une idiote, j'avais tout gâché. Puis je me dis, eh oh, faut pas charrier quand même, il va pas jouer les victimes et me faire culpablisier là, le rouleau compresseur, la machine de guerre.... Je vais pas me laisser abattre parce que je lui ait rendu un millionième de la monnaie de sa pièce! Je me résonnai et entrepris de faire à dîner. Je mitonnais aux petits oignons un riz au poulet et citron, et cru mourir d'apopléxie quand j'entendis Denis dire úne fois la première cuiller avalée:
- C'est très bon.
Pardon??? Tu peux répéter s'il te plaît? Merde, le délire recommence, attends:
- Ah oui?
- oui.
- C'est gentil, merci.
- Mais je dis pas ça pour être gentil.
Ah tu me rassures, je commençais à m'inquiéter, c'est bon tout est rentré dans l'ordre, l'eau ça mouille, le feu ça brûle, et Denis est égal à lui-même, mesquin. Tout est normal, tout est à sa place.
Une fois de plus je ne pus me retenir. Denis me disait donc:
- Mais je dis pas ça pour gentil.
Moi, moqueuse:
- Ah bah c'est pas ton genre!!!!
- C'est vrai. Au bloc, les internes sont terrorisés.
- Ca m'étonne pas, mais personnellement, ça ne me dérange pas, c'est bien, c'est formateur, moi j'ai toujours été très protégée, jamais de ma vie on ne m'avait traité comme ça, mais c'est bien, ça me forge le caractère.
Façon polie de lui dire que sa méchanceté coulait sur moi comme de la bouse sur une toile cirée, évidemment c'était que de la gueule, surtout le "ça ne me dérange pas"....
Mutisme de Denis, Denis carpe, Denis muet: remords le retour? Et puis merde, si on peut rien lui dire, á lui qui ne se gêne pas, allez, te bile pas c'est pas grave, il s'en remettra, tu t'en es bien remise toi!...
Je remontai sur le pont pour échapper à la tension naissante en cabine, jetai le reste de mon assiette aux poissons, laissai Denis faire la vaisselle, et me préparai enfilant salopette et blouson à mon quart de nuit, nuit dite "de la consécration".