C'est maintenant le début d'une nouvelle aventure. Une aventure terrienne, partagée avec des locaux de Madère. J'expérimente le principe du "couchsurfing". C'est un principe merveilleusement humaniste et d'une simplicité de fonctionnement enfantine. Vous avez un canapé que vous pouvez grâcieusement mettre à la possibilité des voyageurs, vous vous enregistrez sur internet, et les gens qui veulent en profiter vous contactent via le site "www.couchsurfing.com".
A Porto Santo Santo, j'avais anticipé mon séjour à Madère (sagesse paternelle, quand tu nous tiens!) et fait la demande d'un couch pour quelques nuits à une demie-douzaine de Funchaliens, triés sur le volets: des beaux gosses ou des femmes. J'ai reçu quatr
e réponses positives, de la part de Reinaldo, Pedro, Sol et Sonia. La réponse de Sol, je vous la copie ici, m'a quelque peu intrigué:
hi Anne
you welcome,
to the Madeira Island
let's make a sex party to celebrate your arrival with
my friends
I will send you a privat email,
see sou soon
Je n'ai évidemment pas donné suite....
J'ai décidé de passer deux jours chez Reinaldo, et une semaine ou plus chez Pedro, Sonia étant indisponibles les quinze premiers jours à partir de mon arrivée. Pedro n'était pas dispo plus de deux jours, mais le couchsurfing est aussi l'occasion de se faire des copains parmis les locaux, donc plus on en rencontre, mieux c'est.
Denis est maintenant parti. Je me retrouve seule à la marina, sans capitaine, sans bateau, sans attaches. Mais il y a les tchèques et les suisses qui sont là pour me remonter le moral que j'ai un peu en berne. Nous prenons un café, et je dois ensuite me préparer pour le concert du soir à l'Apolo, grande brasserie en plein centre de Funchal. Je suis un peu stressée, et veux répéter. je demande une salle à la marina, et ils me donnent l'ancienne réception qui ne sert plus, il y a juste les employés qui passent de temps en temps boire un verre à la fontaine d'eau qui s'y trouve toujours. J'installe tout mon petit matériel, ampli, guitare, pupitre jamman et m'attèle, avec enthousiasme pour une fois, â ma tâche, à mon travail, à mon job. De temps en temps les employés passent et me scotchent du regard, et systématiquement ne referment pas la porte derrière ce qui à le don de m'agacer passablement. Je téléphone vers 17h à Apolo pour savoir s'ils ont une salle avec l'électricité à me prêter pour répéter. Carlos me dit que finalement je ne chante pas ce soir, car il y a une grosse fête donnée en l'honneur des élections prévues dimanche. Je fume un peu, pourrait prévenir quand même, heureusement que j'appelle, pas propre tout ça, mais mon expérience du voyage avec Denis m'a appris l'acceptation. Quelque chose que je ne peux contrer, ou que je ne peux contrôler, je dois l'accepter. J'accepte donc, et propose à Reinaldo de le retrouver plus tôt dans le centre de Funchal. Le conducteur de la navette de la marina qui trouve que je chante merveilleusement, et avait visiblement très soif en cette chaude après-midi de septembre, me propose de m'y accompagner, ce que j'accepte immédiatement. Partie avec juste un sac à dos et une guitare je me retrouve maintenant avec deux sacs à dos, un ampli, une guitare et un pied de micro ce qui complique un tantinet mes nombreux déplacements. Se joint à nous un beau (très beau même) quarantenaire qui se rend à l'aéroport. Au début on parle anglais jusqu'à ce que je lui demande d'où il vient, et bien sûr on a l'air de deux idiots quand il me répond: "Bordeaux". Ou alors on pourrait dire qu'on est tous les deux trop fluent en anglais et que nos accents approchent la perfection.... Bref, je le questionne sur sa vie, il est venu à Madère avec la mini, laisse son bateau à Quinta pour y revenir avec sa petite famille à la Toussaint, et il est chirurgien esthétique, et micro-nutritioniste. La micro-nutrition c'ets lorsque l'on s'intéresse à la qualité des aliments et non à la quantité. Et il faut dire que son aspect physique est une merveilleuse publicité pour la profession qu'il éxerce. Ravie d'avoir un spécialiste du corps et du visage avec moi, je le questionne immédiatement:
- J'ai un frère qui est très intéressé par la naturopathie, il dit que le matin il faut manger des biscottes et des fruits, qu'il ne faut pas mélanger les protéines et les féculents, qu'il faut manger les fruits entre les repas, et boire du thé déthéiné et du café décaféiné, vous êtes d'accord?
- Tout à fait, votre frère a raison, il est bien conseillé.
- Tant mieux, et aussi, je suis désolée de vous demander ça, tout le monde doit vous bassiner de question parce que vous faites de l'esthétique, mais j'ai un petit double menton, qui gonfle terriblement quand je chante, je ressemble à Balladur, alors quand j'étais petite c'était cool parce que ça faisait rire mes frères et soeurs à table au moment des élections, mais maintenant ça m'embête un peu, qu'est ce que je peux faire? Ça peut disparaître, mais seulement quand je suis très maigre...
- On peut faire une lipossution par aiguilles ou laser, ça coûte pas très cher, et c'est sous anesthésie locale, donc pas de risques.
- Chouette. Mais ça me fait quand même bizarre d'imaginer que je vais transformer quelque chose...Parfois je n'arrive aps à comprendre que des gens prennent ce genre d'initiatives.
- Il y en a pour qui c'est un symbole, il y a des jeunes filles qui se font refaire le nez par exemple, pour marquer une différenciation avec leur famille, rompre un lien.
- Oui, moi à un moment j'ai voulu me le faire rabotter, mais mon père m'a dit: "Ma fille si tu fais ça, je te déshérite". Au début je ne comprenais pas pourquoi, et apr´s j'ai réalisé que ce nez était en partie reponsable de la personnalité que j'ai, je pense que si je n'avais pas eu ce nez, je ne serais pas la même.
- Oui, j'ai remarqué votre nez, mais si vous n´êtes pas sûre de vous, ne changez rien, il arrive que des gens regrettent après l'opération, et le vivent très mal...
- Non de toute façon maintenant j'aime mon nez, je ne le changerai pas.
- Vous un peu rétro-prognate aussi, vous avez un profil très Bourbonnien...
- Vous ne croyez pas si bien dire, ma mère est Bourbon justement!
- Ah tient, c'est étonnant! C'est vrai ça se voit tout de suite chez vous!
Normalement j'aurais dû être absolument outrée des propos que me tenait cet homme. Double menton, rétro-prognate, nez crochu, profil bourbonnien... Mais il se trouve qu'en ce moment je ne souffre d'aucun complexe, et que mis à part mon menton gonflable, il n'y a rien dont je trouve à me plaindre vraiment. Et puis ce type est un objecteur de visages professionnel, il est normal qu'il voie de manière précise et détachée tous les défauts que peuvent comporter les figures des gens. Je m'étonnais moi-même de n'être pas blessée, et prenai alors encore plus confiance en moi, me félicitant, pensant que j'avais fait un pas de plus vers la maturité, celui qui mène à l'acceptation de l'aspect physique.
Nous nous quitâmes à l'aéroport, il me donna sa carte en me disant de lui envoyer l'adresse de mon blog, ce que je ferai après avoir terminé ce chapitre. (Le passé simple est revenu, c'est ma Madeleine!)
Hop là! Présent.
Je dois maintenant retrouver Reinaldo. J'angoisse un peu: sera-t-il sympa, va-t-il m'aimer, nous entendrons-nous?
Le conducteur de la navette me pose tout un tas de questions et secoue la tête d'un air halluciné à toutes les réponses. Conclusion: "Es aventurera". Bah oui, en quelque sorte.
Reinaldo vient me chercher Praça du Municipio, devant le cyber où je me précipite dès que j'ai du temps libre pour vous faire palpiter, rire ou pleurer pendant vos pauses déjeuner. Etonnament beau, grand, T-shirt Abercrombie, jean délavé, lunettes de marques, voiture flambant neuve. Je m'excuse pour tout le bordel que je traîne avec moi, mas nao importa...Dans la voiture on fait connaissance, moi je suis une voyageuse-chanteuse un peu tarée, et lui c'est un prof de sport, nice. Ce soir il y a à l'appart un autre couchsurfer, Robin de Montpellier, qui passe sa dernière lui chez lui, et on va dîner avec une de ses anciennes hôtesses couchsurfing, Marcela. Dîner entre couchsurfers, entre gens cools, relax, ouverts et sympas quoi. Il va cuisiner un riz aux curry de légumes, on va faire les courses, et ensuite on boira un café, nice. On va chercher les fruits et légumes chez un primeur, et le reste au super. On va boire le café, on découvre qu'on vient tous les deux de familles nombreuses, lui a sept frères et soeur, et moi, cinq. On passe le café à détailler la vie de chacun des membres de notre famille. Mon frère marin-architecte-naval-bouddhiste et mon autre étudiant pilote le plus endetté de France à un seul rein-serveur-assureur lui font écarquiller les yeux...
On va chez lui et je tombe en pamoison devant son intérieur: propre, coquet, léché, design, spacieux, je vois déjà ma guitare et mon ampli trôner au beau milieu du salon. Le balcon avec vue imprenable sur l'océan me fait rêver, et je sautille de joie devant la machine à café Nespresso.
Arrive Robin, jeune, grand, mince, visage avenant, apprenti jardinier. Il revient d'un trekk dans les montagnes, épuisant mais génial. Il me donne plein de petits conseils de portugais, ici un mec c'est "um rapaz", une fille "uma rapariga", mais attention parce que au Brésil, "uma rapariga" c'est une pétasse... Quand tu vas chanter dans les bars là-bas, va pas dire "Eu so uma rapariga francesa.." Il est trop sympa, et pense que j'ai son âge, 21 ans, comme tout le monde ici d'ailleurs. D'un côté ça me ravit, de l'autre ça m'énerve un peu parce que c'est une preuve flagrante de mon immaturité. J'ai tellement fuit les responsabilités et les devoirs que même physiquement, j'ai l'air d'une gamine... Ç't'agaçant.
Arrive Marcela, plantureuse (mais pas grosse) portugaise ouverte et curieuse, qui ayant étudié le latin et le grec, baragouine un français qu'elle devine avec talent. On dîne gaiement du délicieux riz au curry végétarien de Reinaldo, et de bon vin blanc frais, et parlons de la France, du Portugal, de Madère et des Açores (où j'irai très certainement faire un tour, ça à l'air absolument génial...). Je vais me coucher un peu avant les autres, je suis épuisée, longue journée, et l'exercice du portugol-français-anglais me crève.
Le lendemain je me lève tôt, tout le monde est déjà parti. Petit-dej terrasse orange pressée-Nespresso latté et soleil de plomb, je vous fait une ptite vidéo toute contente que je suis de la journée qui s'annonce, et de l'appartement dans lequel je me trouve. Je répète de 9h30 à 17h, en ayant de moults frissons de bonheurs grâces aux petites merveilles que me permet mon jamman. Le soir je rejoins les suisses au port de Funchal, nous rpenons un café et discutons longuement, de la suisse, du mariage, et du voyage sur Gédeon et sur leur bateau. Ils sont décidément trop sympas, et je commence à franchement les aimer. On se quitte, et je retourne en bus toute seule à Caniço chez Reinaldo, en ayant des sueurs froides parce que la nuit je ne reconnais absolument rien et suis incapable d'expliquer au chauffeur ou j'habite. Finalement je descends pas très sûre de moi au bon arrêt et me couche un peu anxieuse pour le concert du lendemain, mais heureuse.
Samedi, jour du concert. C'est l'effervescence dans ma tête. Un stress me pèse au sternum, c'est mon point de pression qui se réveille. Ce phénomène est apparu la première fois à quinze ans lors d'une tournée au Maroc. J'étais au lit, j'avais un fou rire, et tout d'un coup, un coup de couteau dans le thorax, entre les seins, au niveau du sternum. Je me fige, me tords de douleur devant mes copines Hélène et Sophie un peu interloquées, qui ne croîent pas du tout à ce mal. Je me mets à pleurer, puis voyant leurs expressions de plus en plus consternée, pars dans un fou rire, ce qui diminue ma crédibilité. Hélène sans explication fonce droit sur moi et m'assène un énorme coup à l'endroit où je souffre, ce qui augment mon fou rire, et par là même mon mal. On appelle le médecin qui conclue que c'est un "point de pression". Jamais su ce que ça voulait dire vraiment, mais cet épisode restera un grand souvenir de ma jeunesse, et en particulier la réaction complètement innatendue et innexplicable d´Héléne, après coup absolument tordante.
Le point de pression est donc de retour, je me calme, me dis que ça va bien se passer, et me met au travail pour écarter au maximum toute éventualité de foirage. Je bosse 4h pendant que Reinaldo passe le déjeuner en famille, puis à son retour, nous partons pour Quinta do Lorde.
Il me dépose avec toutes mes affaires, et je m'installe gentiment à 18h devant les tables où une demi-douzaine de clients sifflent leurs bières.