mercredi 16 septembre 2009

L'ours et la poupée, la suite

J'assurai donc mon quart, au moins, Denis pouvait dormir, il serait peut-etre de meilleure humeur une fois reposé.

Le lendemain nous étions le 6 septembre, jour de mes 25 ans. J'étais en pleine mer, incrustée sur un bateau ou ma présence n´était pas désirée, et j'allais très certainement mourir d'inanition, avec pour seule compagnie un parfait inconnu qui me détestait. Le bilan n'était pas fameux, et je sombrai dans une déprime abyssale...

Denis émerge. Oh non, s'il te plait, reste au bureau, reste dans ta cabine, laisse moi mourir en paix....

- "ça va?" (depuis quand ça t'intéresse???)
- " oui oui, ça va beaucoup mieux je sens" (professonnelle du mensonge, serial mythomane)

Blanc... interminable... une colonnie d'anges passent....

Soudain, je m'enhardis:
-"tu sais Denis, aujourd'hui, j'ai 25 ans..."
La folie s'était emparée de moi, je délirais complètement...
-"Ah oui c'est vra, j'ai un petit cadeau pour toi, bouge pas je vas le chercher..."
Ca y est, c'était la fin, j'étais prise par la maladie, je débloquais complètement, aliénée je devenais, j'avais maintenant des hallucinations, j'entendais des voix, j'étais la Jeanne d'Arc de l'atlantique.... Qu'on me débarque, ma place est à Sainte-Anne.
Denis revint avec un petit paquet. Je me redressai et m'assis dans un ultime effort pour découvrir ma surprise: c'était un petit bateau miniature!
Je m'extasiais, et j'étais sincère, jamais présent, si petit soit-il ne m'avait autant chauffé le coeur, j'étais tellement emballée que je pris sur moi pour m'aventurer en enfer, dans la cabine, et risquer par la meme d'aggraver mon état, pour aller ranger le précieux objet que je me jurai de garder toute ma vie, et d'emporter dans ma tombe....
Je remontai et claquai deux bises mouillées de reconnaissance sur les joues de mon tortionnaire.
Mais l'état de grâce ne dura pas longtemps, pas question pour mon bourreau de lever le bras sous-prétexte que j'étais Catherinette...

Je devais aller dans la cabine, ne pouvant pas retenir plus longtemps une envie pressante, la nature me commandait de redescendre en enfer. Lorsque je remontai, le bateau tanguait beaucoup, et je me cognai partout, laissant échapper un "aïe" qui tomba dans l'oreille du capitaine. Sarcastique, sadique, carrément mauvais il me dit:
- Ah ca bouge hein! tu pensais que c'était la croisière s'amuse!
Je rassemblai mon courage et répondis pour une fois, ado prépubère:
- Naaaaan, on m'avait prévenu...
Je faillis rajouter qu'on avait ommis de me préciser que je me retrouverais à huis-clos avec le fils spirituel de Lucifer. Mais je me retins, l'innévitable huis-clo en question m'interdisant tout commentaire désobligeant pouvant aggraver la situation.

Je passai le reste de la journée étendue, vidée physiquement et psychologiquement, pensant au Max Havelaar de 60 pieds qui me tendait les bras pour aller jusqu'à Madère, et dont j'avais décliné l'offre qui s'était présentée la veille de mon départ, toute engagée que j'étais déjà pour embarquer sur le bateau de Denis l'affreux. Durant tout le reste de la journée et le début de la nuit, je regrettai cette décision.... Mais je ne savais pas encore que le pire était à venir.

La nuit (nuit dite du "règlement de comptes") nous eûmes une manoeuvre à faire, évidemment je ne savais pas de laquelle il s'agissait, Denis se gardant bien de me tenir informé. Je fis donc encore n'importe quoi, incapable que j'étais de pouvoir anticiper et réagir à une situation dont je ne connaissais pas la nature. Denis était fureur.
- Mais tu n'y connais rien!! Mais elle ne connait rien! Mais quand est-ce que t'as fait les Glénans, il y a 20 ans????
Prenant mon courage à deux mains, n'y tenant plus , j'entrepris de me défendre:
- Mais je ne comprends pas pourquoi Daniel Henry (la personne du grand pavois qui nous avait mis en relation) t'as proposé d'embarquer avec moi... J'ai pourtant insisté en disant que mon bagage naval était quasi nul et que je voulais profiter de l'expérience pour m´étoffer... que t'as-t-il dit exactement??? Il t'as dit que je serais une bonne équipière??!!!
- Mais je ne cherchais pas un équipier, je voulais de la compagnie, mais quelqu'un qui connaisse un peu la mer!
C'était mon cas pourtant, mais présentement, le peu que je savais ne me servait à rien.
Il ajouta, m'achevant par là même:
- Mais lá tu es plus une contrainte qu'autre chose!
La messe était dite, je n'avais plus qu'à me jeter à l'eau pour me faire dévorer par les requins.
Sur ce il redescendit dans sa tanière, me laissant seule avec mon désespoir, la pleine lune et les filantes pour seul réconfort....

Et toujours, le pire était encore à venir.

Le lendemain, j'allais mieux, je sortis comme une flèche de la cabine: le principe était de dormir toute habillée pour ne pas perdre de temps a enfiler des vetements le matin, d'embarquer la brosse á dent et le dentifrice en toute urgence et de remonter le plus vite possible sur le pont afin d'être plus rapide que le mal de mer qui se déclanchait à l'intérieur. Il fallait etre extrememnt rapide, c'était une course contre la montre entre moi et mon estomac. Ce matin là, j'avais presque gagné, et je criai pratiquement victoire sur le pont, ne sentant presque plus le poids de mon ventre, ou plutôt le creux, quand soudain, enfer et damnation, j'entendis des cris qui venaient des bas-fonds, et qui visiblement m´étaient adressés. Sueurs froides, stupeur, tremblements, incompréhension, panique, les cris se rapprochaient, se faisaient plus précis, et je flageollais de crainte me demandant ce qu'il se passait cette fois-ci. Qu'avais-je encore fait, pourquoi, alors que j'approchais de la tranquilité, le Seigneur, ou Lucifer, m'infligeait-il encore des misères????

Attention, passage difficile, âme sensible s'abstenir....

Lucifer justement, haleine de phoque, odeur de chacal, vociférant à tous les vents, fit surface, le rouge d'un homard, la colére de Zeus:
- mais qu'est ce que tu m'as foutu avec les chiottes????? Elles sont cassées, les pompes marchent plus! Tout est foutu!!!!!
Denis m'avait expliqué la veille du départ (je n'avais pas dormi pendant 48h, prévenue un lundi, partie un jeudi, j'avais passé la nuit de mercredi a vider ma cave de toute ma vie, faire mes bagages, ranger l'appart etc...) comment fonctionnait toutes les vannes du bateau, moteur, lavabo, toilettes, il y en a 6 en tout dans trois trappes différentes, plus les indications d'electricité, d'allumage du moteur, de fonctionnement, d'intendance etc... Ca faisait trop pour ma petite tête crevée, j'emmagasinai tout ce que je pouvais mais ne retins pas tout. Les toilettes j'aurais dû retenir, je m'en voulus terriblement, et une fois encore, voulus disparaître.
- Elles sont foutues, elle son foutues! je sais pas comment tu vas faire, tu pisseras dans un seau ma vieille!
je me voyais déjà, gambadant gaiement, mon urine en bandoulière, sur le pont du Gédeon.

Ma vieille, ma vieille, coléreux, irrascible, ma vieille, ma vieille.... Le "ma vieille" tournait dans ma tête en boucle, ce "ma vieille" avait un son très familier à mon oreille... Soudain, un flash, mon Dieu! J'étouffai un cri... L'oncle Charles, je suis enfermée avec l'Oncle Charles sur le bateau!!!! Anne et Oncle Charles pendant dix jours sur un bateau, le tableau faisait peur.... Soudain je me ravisai: l'Oncle Charles n'est pas rancunier. En plus si Denis faisait preuve du même sens de l'humour et de la décontraction que lui, et que de mon côté je ne faisais plus de faux pas, nous devrions nous en sortir, et même passer de bons moments. Pouvoir rattacher Denis à une personnalité que je connaissais et que j'aimais me rassurait, me donnait du coeur au ventre, les deux étant très mal en point de nouveau, vu que pour réparer ma bêtise je m'enfonçai dans l'antre de la bête pour en inspecter la tuyeauterie.

Cela va paraître surprenant, mais s'il y a bien une chose que j'ai appris aux Glénans, et que je n'oublierai jamais, c'est comment écoper, démonter, réparer, pomper et remonter les toilettes d'un bateau. C'est même le plus beau fait d'arme de mon histoire de débrouillarde. Un beau matin, mal réveillée, distraite, j'avais mis le papier toilette dans les toilettes, provoquant un débordement d'eau et d'autres choses dont je n'étais pas à l'origine. Je vous laisse imaginer....Je cours prévenir le mono et mes équipiers, en expliquant que j'ai bouché les toilettes, mais tout est sous contrôle, je maîtrise la situation, faites moi confiance, je s'occupe de tout, tu s'occupes de rien. Tout en rendant l'âme régulièrement dans un seau prévu à cette effet, je m'attelai à ma tâche en fond de cale, entreprenant de percer les merveilleux mysteres du sanitaire de voilier: cela me pris une journée entière. Au coucher du soleil, je sortis vainqueur de ma lutte acharnée contre les toilettes, le putois vengeur avait gagné, et savourait sa victoire avec son équipe béate d'admiration devant son courage au delà de toute épreuve, victoire abondamment arrosée de cacolac, divine récompense de mes efforts payants. J'étais la reine des chiottes à pompe, la déesse du water, docteur es WC.

Lorsque la situation se représenta sur Gédéon, je ne pus réprimer un sourire dû au merveilleux souvenir que m'évoquait cette casse. Fureur stupéfaite de mon capitaine:
- Ah parce que ça te ça te fait rire en plus???!!!
Je ne répondis pas, attrapai le seau et m'enfonçai dans la cabine, bravant mon estomac capricieux, réduisant à néant tous mes précedents efforts pour en sortir au plus vite et échapper au spectre de mon mal.
Je m'assis face au trône, et entrepris de le vider, eructant tant et plus; le spectre frappait à ma porte. Denis apparu, gesticulant, pestant, me vira vite fait de là d'un "laisse moi faire" impérieux.

Je revins sur le pont, rendis, le cercle infernal reprenait. Après une heure ou deux, Denis revint, calmé, apaisé, les toilettes étaient réparées. Il me dit:
- tu n'auras pas échappe à la tradition, tu es la troisième personne qui me pète les chiottes sur ce bateau...
J'enrageais. Et il me tenait pour responsable? Monsieur, après trois mésaventures similaires, prétendant s'intéresser au bouddhisme, était incapable de faire sa propre introspection et de se demander par quel miracle trois co-équipiers successifs avaient fait la même bêtise? le dénominateur commun, c'était lui, la faute lui revenait! Là dessus j'imaginais le discours que j'aurais dû lui tenir, et par ce biais, soulageait un peu la culpabilité qui me rongeait:
" Mais mon p'tit Denis, si trois fois d'affilées on a cassé tes toilettes c'est peut-être que tu es incapable de donner une explication claire, c'est à peine si on t'entends quand tu parles, je te fais tout répeter trois fois et j'ai du mal encore à reconstituer ton propos, il me faudrait plaquer un sthétoscope sur ta poitrine pour pouvoir de comprendre, et si je suis un mauvais matelot, c'est peut-être que tu es un mauvais capitaine, t'annonces jamais la manoeuvre, tu me dis d'attrapper l'écoute, la drisse, et il y en a mille sur le bateau, je ne suis pas devin bon sang! Remets toi en question mon vieux, y a pas de fumée sans feu et je ne suis pas seule responsable du fiasco total qu'est cette traversée jusqu'ici, merde à la fin!!!!!"
Une fois encore, le huis-clos m'obligea à me retenir, et à la place je prononçai mollement un lâche:"pardon Denis".

Le cyber ferme, la suite au prochain épisode.