mardi 29 septembre 2009

The french girl in live


Je m'installe donc, à 18h, le soleil est encore haut et m'arrive en pleine figure. Je porte une marinière, histoire de jouer le petit matelot. Je suis très à l'aise. Ça fait une semaine que je traine mes tongs sur les catway en sifflant, sur les ponts en jouant de la guitare, je connais plein de monde, je suis à la maison. Pour une fois je n'ai pas honte de me présenter. Je suis Anne, french-girl, bateau-stoppeuse, et je veux traverser l'Atlantique en voilier pour aller chanter au Brésil. Et vous, d'où venez vous? England, Slovenia, Allemagne, et Chili. Good evening, Gutenacht, how do you say good evening in Slovenia, buenas noches muchacho. Le chilien me plaît beaucoup. Il a l'air d'un vieux loup de mer avec sa belle barbe blanche et sa pipe. Vas en Chile con el velero muchacho? Si. Y puedo venir con vos? ah ah! Veremos.... Il reste un peu sur ses gardes, mais ayant à mon répertoire quelques chansons argentines, je me charge de le dérider; lui, c'est mon chouchou. Je commence par des morceaux que je connais bien, mais le sol étant pavé, je fais des ratés avec le jamman (boucleur à pédales). Pas d'affollement, j'en profite pour expliquer quelle est cette drôle de machine qui me permet de faire des deuxièmes voix, exemple à l'appui, tout le monde est absolument intrigué, je les laisse papoter et cours chercher une plaque lisse pour poser ma boîte magique. Bien installée je reprends, et à chaque fois que je chante une chanson en espagnol je fais un clin d'oeil à mon loup de mer en disant :
" Che muchacho, una cancion para vos" et il opine du chef en me souriant des yeux, je le gagne petit à petit à ma cause... Dès que je remarque de nouveaux arrivants, si je les connais je signale leur nationalité, sinon je la leur demande et les accueille dans leur langue, si je la parle. Régulièrement je hèle l'audience qui augmente au fur et à mesure de la soirée: "If you don't already know it, I want to go on a boat to go to brazil, I know how to sail, I am a good cook, and I promess I won't sing!!" L'audience s'exclame, se gausse, elle est conquise. Je chante un Port d'Amsterdam à faire pleurer les vieux loups, un belge me remercie, et dis moi, connais-tu "Le plat pays qui est le mien"? Non. Il faut l'apprendre! Et vous me prenez sur votre bateau si je le chante mercredi prochain? On verra, j'ai un grand catamaran. Oh, vous me faites rêver.... Je viens vous voir après le concert! The show goes on, quelques pains, innévitables à la guitare, première fois de ma vie que je chante trois heures, j'ai dû apprendre des chansons en quatrième vitesse, mais je triche un peu sur le temps en prenant à parti mon public, je disserte sur l'amour-haine qui tient l'Argentine au Chili, l'Angleterre à la France, sur l'éternelle neutralité qu'affectionnent tant les suisses, qui veulent rester en dehors de l'Union Européenne, et qui ont pourtant une partie de l'Europe représentée au sein leur pays, l'Allemagne, l'Italie, et la France. Je me rends compte que les voyages et les rencontres que je fais servent complètement mon art, et animent le concert, juste comme je l'avais imaginé avant de partir, tout comme je tentais de le démontrer à mes parents, qui interloqués, me demandaient pourquoi je ne faisais pas ce que je prétendais faire à l'étranger, dans mon propre pays. Mais qu'est-ce que je trouverais à dire à mes compatriotes? Alors, toujours aussi râleurs? Il est méchant Sarko? C'est bon le fromage qui pue? (petite crise, pardon). Jamais je ne m'étais sentie aussi à l'aise avec le public. La jamman marche du tonnerre et les harmonies enchantent les oreilles des sailers. Je prends une pause. La patronne me saute dessus, viens il faut que je te parle! Ok je te suis. Bon, ça me plaît beaucoup. C'est vrai?!!! Oui, et j'aime bien quand tu parles au public, it's good communication. Je pense que tu vas faire les mercredis et les samedis, mais il faut que tu commences un peu plus tôt, à 18h pétantes, quand les touristes reviennent de l'excursion en catamaran, comme ça ils t'entendent et ils restent boire un verre. Il faut que le mercredi tu fasses quelque chose de diffèrent du samedi. (Merde, il faut que j'apprenne 20 nouvelles chansons pour mercredi.). Let's talk about the remunaration. YES! Do you want something to eat? No, I am not hungry. Something to drink? No. Do you want oil tickets, food tickets? Mais qu'est-ce que tu me chantes là? Tu veux me payer avec du pétrole???! des tickets restos???!! Tu vas me proposer des paquets de clopes et des kilos de cacahuètes?? Elle débloque. Ok. Serial mythomAnne prend les choses en main: "when I was in France, I was teaching guitar, I took 20 euros for one hour. Here it's different because it's more difficult than teaching, it's performing you know, so what about 40 euros an hour?" Je suis dans la Medina de Marrakesh, je vise haut pour faire semblant de baisser mon prix, dans ma très grande mansuétude... Thérèse de Calcutta. "It's too expensive, the financial department won't agree." Bien sûr, à l'attaque!!! Tarzan:" Ok, we cut the apple in half, 30 euros, what do you think?" Hésitation de Jane. J'attrape une liane, je saute:" I bought the equipment you know, you didn't have to invest a penny..." "Ok, 30 euros an hour, it's ok". YES!
Je vais voir ma table d'anglais, Sue et on ne saura jamais son nom parce qu'on a jamais été capable de le retenir, sont venus exprès de Caniçal oú ils s'étaient exilés pour me voir chanter. You have a lovely voice, you are a very special girl... Stop! Je vais blusher!!! Je ne me sens plus de joie, j'ouvre un large bec et remercie à tout va. The show must go on, et c'est reparti pour 1h30 de live french girl. Una ultima cancion en castellano, para vos muchacho... Là, il sourit carrément avec la bouche... Fondu, le glacier chilien! A la fin de la chanson, il se lève, vient me remercier et me glisse un billet de 10 dans les mains, gracias muchacho! Come to see me on te boat, mais je m'abstiendrai. J'ai une nouvelle règle, ne plus jamais monter seule avec un homme, si âgé soit-il, on connaît les ravages que je fais chez le troisième âge....Arrive le dernier morceau, l'apothéose, le bouquet final. Je l'avais bossé toute la journée, minuté, chronométré. L.O.V.E, Nat King Cole, un couplet, un refrain, en boucle sur le jamman. J'ai eu un peu de mal à le faire démarrer car dans l'obscurité je ne trouvais plus mon oeuf shaker, mais une fois lancé, il a tout déchiré. J'enregistre donc en boucle les accords. Je pose la première voix du couplet, puis du refrain. Ensuite la deuxième voix. Puis, à la surprise génerale, je me lève, crie "I need your help now!". Je cours chercher mon catamaran belge (sa femme arrive lundi, avec lui je peux embarquer), lui colle le shaker dans les mains en lui disant de le faire shaker bien devant le micro. Il s'éclate, ses copains sont morts de rire. Je vais à une autre table, emprunte un couteau et une coupe, rejoint mon belge, et on percutionne tous les deux. Il pète avec sa bouche dans le micro, ses copains se pissent dessus. Ensuite je lui prends le shaker des mains, l'attrappe par le bras, lui dis que maintenant, Rabbi Jaccob, il va danser! Et on rock n'roll devant l'assistance clappant des palmes. Il me tord le bras, je l'abandonne, le remercie, et lui demande "you take me on your boat??? Please, please!!!" et ils tombent tous de leurs chaises. Je finis la chanson, succès total, encore encore!!! Je termine avec la première chanson, Liberta, tout le monde se calme, rideau. Ouf, soulagement, bonheur, tout s'est bien passé! La patronne me ressaute dessus, nice, verry nice, really. It's still ok for the 30 euros? Yes. So it's 9h30, I sang three hours like you asked, so it is 90 euros, it's ok? Yes, 90 euros, ok. GREAT! Un couple de je ne sais pas quoi qui parlent français vient me voir, et me glissent 5 euros, ça fait donc 105 euros en trois heures!!!! Pour atteindre une telle somme avec mon ancien métier, nounou, il aurait fallu que je bosse 15h! Tout simplement géant. Je rejoins mes copains suisses, les tchèques ont dû partir à Funchal rencontrer d'autres tchèques qui vont les aider à trouver un job. Ça veut dire que Martin reste! Plénitude, félicité, heaven, I'm in heaven. Patrick le fou qui fait de l'hauturière avec un 6.50 et qui va à Funchal à vélo (3h aller, 3h retour, et c'est une île montagneuse, ups and downs my friends...), et Anne la bateau-stoppeuse qui garde un voilier seule pendant trois semaines sont là. Compliments de toutes part, trop chouette, jolie voix, du talent, bon feeling, tout ça tout ça, ça y est, je suis mordue, je ne veux faire que ça, déjà qu'avant le concert ça me plaisait à moi, mais maintenant que ça plaît aux autres, pas d'hésitation, j'y vais, je fonce, je suis partout, sur toutes les balles, je mets toute ma patate dans le revers! Les suisses disent, you have to come to switzerland, je leurs dis que je leurs ramènerai des p'tits suisses, on est tous trop contents, c'est la fête. Les anglais partent, on échange les e-mails, see you french girl!
On continue à discuter avec les suisses, Patrick et Anne, puis Anne m'emmène sur Pétunia, elle m'invite à dormir dedans, énorme voilier trop classe à l'intérieur, j'hallucine complet, mais suis incapable de trouver le sommeil malgré le confort de ma couchette, je n'arrive pas à croire ce qui m'arrive. Je pars fumer des clopes sur les catway. Je croise Martin le tchèque qui revient de Funchal, et hop il m'emmène sur son bateau, Maya va nous faire des pâtes, te moootz, fakt dubri! Moment trop sympas avec les tchèques, ils vont avoir un job, j'ai chanté, on est tous trop content, the crazy group célèbre ça autour de spaghettis carbos et chocolat chaud. Je repars sur Pétu, et m'endors enfin, d'un sommeil bienheureux.

lundi 28 septembre 2009

Le temps de la sagesse

C'est maintenant le début d'une nouvelle aventure. Une aventure terrienne, partagée avec des locaux de Madère. J'expérimente le principe du "couchsurfing". C'est un principe merveilleusement humaniste et d'une simplicité de fonctionnement enfantine. Vous avez un canapé que vous pouvez grâcieusement mettre à la possibilité des voyageurs, vous vous enregistrez sur internet, et les gens qui veulent en profiter vous contactent via le site "www.couchsurfing.com".

A Porto Santo Santo, j'avais anticipé mon séjour à Madère (sagesse paternelle, quand tu nous tiens!) et fait la demande d'un couch pour quelques nuits à une demie-douzaine de Funchaliens, triés sur le volets: des beaux gosses ou des femmes. J'ai reçu quatr



e réponses positives, de la part de Reinaldo, Pedro, Sol et Sonia. La réponse de Sol, je vous la copie ici, m'a quelque peu intrigué:
hi Anne
you welcome,
to the Madeira Island
let's make a sex party to celebrate your arrival with
my friends
I will send you a privat email,
see sou soon

Je n'ai évidemment pas donné suite....

J'ai décidé de passer deux jours chez Reinaldo, et une semaine ou plus chez Pedro, Sonia étant indisponibles les quinze premiers jours à partir de mon arrivée. Pedro n'était pas dispo plus de deux jours, mais le couchsurfing est aussi l'occasion de se faire des copains parmis les locaux, donc plus on en rencontre, mieux c'est.

Denis est maintenant parti. Je me retrouve seule à la marina, sans capitaine, sans bateau, sans attaches. Mais il y a les tchèques et les suisses qui sont là pour me remonter le moral que j'ai un peu en berne. Nous prenons un café, et je dois ensuite me préparer pour le concert du soir à l'Apolo, grande brasserie en plein centre de Funchal. Je suis un peu stressée, et veux répéter. je demande une salle à la marina, et ils me donnent l'ancienne réception qui ne sert plus, il y a juste les employés qui passent de temps en temps boire un verre à la fontaine d'eau qui s'y trouve toujours. J'installe tout mon petit matériel, ampli, guitare, pupitre jamman et m'attèle, avec enthousiasme pour une fois, â ma tâche, à mon travail, à mon job. De temps en temps les employés passent et me scotchent du regard, et systématiquement ne referment pas la porte derrière ce qui à le don de m'agacer passablement. Je téléphone vers 17h à Apolo pour savoir s'ils ont une salle avec l'électricité à me prêter pour répéter. Carlos me dit que finalement je ne chante pas ce soir, car il y a une grosse fête donnée en l'honneur des élections prévues dimanche. Je fume un peu, pourrait prévenir quand même, heureusement que j'appelle, pas propre tout ça, mais mon expérience du voyage avec Denis m'a appris l'acceptation. Quelque chose que je ne peux contrer, ou que je ne peux contrôler, je dois l'accepter. J'accepte donc, et propose à Reinaldo de le retrouver plus tôt dans le centre de Funchal. Le conducteur de la navette de la marina qui trouve que je chante merveilleusement, et avait visiblement très soif en cette chaude après-midi de septembre, me propose de m'y accompagner, ce que j'accepte immédiatement. Partie avec juste un sac à dos et une guitare je me retrouve maintenant avec deux sacs à dos, un ampli, une guitare et un pied de micro ce qui complique un tantinet mes nombreux déplacements. Se joint à nous un beau (très beau même) quarantenaire qui se rend à l'aéroport. Au début on parle anglais jusqu'à ce que je lui demande d'où il vient, et bien sûr on a l'air de deux idiots quand il me répond: "Bordeaux". Ou alors on pourrait dire qu'on est tous les deux trop fluent en anglais et que nos accents approchent la perfection.... Bref, je le questionne sur sa vie, il est venu à Madère avec la mini, laisse son bateau à Quinta pour y revenir avec sa petite famille à la Toussaint, et il est chirurgien esthétique, et micro-nutritioniste. La micro-nutrition c'ets lorsque l'on s'intéresse à la qualité des aliments et non à la quantité. Et il faut dire que son aspect physique est une merveilleuse publicité pour la profession qu'il éxerce. Ravie d'avoir un spécialiste du corps et du visage avec moi, je le questionne immédiatement:
- J'ai un frère qui est très intéressé par la naturopathie, il dit que le matin il faut manger des biscottes et des fruits, qu'il ne faut pas mélanger les protéines et les féculents, qu'il faut manger les fruits entre les repas, et boire du thé déthéiné et du café décaféiné, vous êtes d'accord?
- Tout à fait, votre frère a raison, il est bien conseillé.
- Tant mieux, et aussi, je suis désolée de vous demander ça, tout le monde doit vous bassiner de question parce que vous faites de l'esthétique, mais j'ai un petit double menton, qui gonfle terriblement quand je chante, je ressemble à Balladur, alors quand j'étais petite c'était cool parce que ça faisait rire mes frères et soeurs à table au moment des élections, mais maintenant ça m'embête un peu, qu'est ce que je peux faire? Ça peut disparaître, mais seulement quand je suis très maigre...
- On peut faire une lipossution par aiguilles ou laser, ça coûte pas très cher, et c'est sous anesthésie locale, donc pas de risques.
- Chouette. Mais ça me fait quand même bizarre d'imaginer que je vais transformer quelque chose...Parfois je n'arrive aps à comprendre que des gens prennent ce genre d'initiatives.
- Il y en a pour qui c'est un symbole, il y a des jeunes filles qui se font refaire le nez par exemple, pour marquer une différenciation avec leur famille, rompre un lien.
- Oui, moi à un moment j'ai voulu me le faire rabotter, mais mon père m'a dit: "Ma fille si tu fais ça, je te déshérite". Au début je ne comprenais pas pourquoi, et apr´s j'ai réalisé que ce nez était en partie reponsable de la personnalité que j'ai, je pense que si je n'avais pas eu ce nez, je ne serais pas la même.
- Oui, j'ai remarqué votre nez, mais si vous n´êtes pas sûre de vous, ne changez rien, il arrive que des gens regrettent après l'opération, et le vivent très mal...
- Non de toute façon maintenant j'aime mon nez, je ne le changerai pas.
- Vous un peu rétro-prognate aussi, vous avez un profil très Bourbonnien...
- Vous ne croyez pas si bien dire, ma mère est Bourbon justement!
- Ah tient, c'est étonnant! C'est vrai ça se voit tout de suite chez vous!
Normalement j'aurais dû être absolument outrée des propos que me tenait cet homme. Double menton, rétro-prognate, nez crochu, profil bourbonnien... Mais il se trouve qu'en ce moment je ne souffre d'aucun complexe, et que mis à part mon menton gonflable, il n'y a rien dont je trouve à me plaindre vraiment. Et puis ce type est un objecteur de visages professionnel, il est normal qu'il voie de manière précise et détachée tous les défauts que peuvent comporter les figures des gens. Je m'étonnais moi-même de n'être pas blessée, et prenai alors encore plus confiance en moi, me félicitant, pensant que j'avais fait un pas de plus vers la maturité, celui qui mène à l'acceptation de l'aspect physique.
Nous nous quitâmes à l'aéroport, il me donna sa carte en me disant de lui envoyer l'adresse de mon blog, ce que je ferai après avoir terminé ce chapitre. (Le passé simple est revenu, c'est ma Madeleine!)

Hop là! Présent.

Je dois maintenant retrouver Reinaldo. J'angoisse un peu: sera-t-il sympa, va-t-il m'aimer, nous entendrons-nous?
Le conducteur de la navette me pose tout un tas de questions et secoue la tête d'un air halluciné à toutes les réponses. Conclusion: "Es aventurera". Bah oui, en quelque sorte.
Reinaldo vient me chercher Praça du Municipio, devant le cyber où je me précipite dès que j'ai du temps libre pour vous faire palpiter, rire ou pleurer pendant vos pauses déjeuner. Etonnament beau, grand, T-shirt Abercrombie, jean délavé, lunettes de marques, voiture flambant neuve. Je m'excuse pour tout le bordel que je traîne avec moi, mas nao importa...Dans la voiture on fait connaissance, moi je suis une voyageuse-chanteuse un peu tarée, et lui c'est un prof de sport, nice. Ce soir il y a à l'appart un autre couchsurfer, Robin de Montpellier, qui passe sa dernière lui chez lui, et on va dîner avec une de ses anciennes hôtesses couchsurfing, Marcela. Dîner entre couchsurfers, entre gens cools, relax, ouverts et sympas quoi. Il va cuisiner un riz aux curry de légumes, on va faire les courses, et ensuite on boira un café, nice. On va chercher les fruits et légumes chez un primeur, et le reste au super. On va boire le café, on découvre qu'on vient tous les deux de familles nombreuses, lui a sept frères et soeur, et moi, cinq. On passe le café à détailler la vie de chacun des membres de notre famille. Mon frère marin-architecte-naval-bouddhiste et mon autre étudiant pilote le plus endetté de France à un seul rein-serveur-assureur lui font écarquiller les yeux...
On va chez lui et je tombe en pamoison devant son intérieur: propre, coquet, léché, design, spacieux, je vois déjà ma guitare et mon ampli trôner au beau milieu du salon. Le balcon avec vue imprenable sur l'océan me fait rêver, et je sautille de joie devant la machine à café Nespresso.
Arrive Robin, jeune, grand, mince, visage avenant, apprenti jardinier. Il revient d'un trekk dans les montagnes, épuisant mais génial. Il me donne plein de petits conseils de portugais, ici un mec c'est "um rapaz", une fille "uma rapariga", mais attention parce que au Brésil, "uma rapariga" c'est une pétasse... Quand tu vas chanter dans les bars là-bas, va pas dire "Eu so uma rapariga francesa.." Il est trop sympa, et pense que j'ai son âge, 21 ans, comme tout le monde ici d'ailleurs. D'un côté ça me ravit, de l'autre ça m'énerve un peu parce que c'est une preuve flagrante de mon immaturité. J'ai tellement fuit les responsabilités et les devoirs que même physiquement, j'ai l'air d'une gamine... Ç't'agaçant.
Arrive Marcela, plantureuse (mais pas grosse) portugaise ouverte et curieuse, qui ayant étudié le latin et le grec, baragouine un français qu'elle devine avec talent. On dîne gaiement du délicieux riz au curry végétarien de Reinaldo, et de bon vin blanc frais, et parlons de la France, du Portugal, de Madère et des Açores (où j'irai très certainement faire un tour, ça à l'air absolument génial...). Je vais me coucher un peu avant les autres, je suis épuisée, longue journée, et l'exercice du portugol-français-anglais me crève.
Le lendemain je me lève tôt, tout le monde est déjà parti. Petit-dej terrasse orange pressée-Nespresso latté et soleil de plomb, je vous fait une ptite vidéo toute contente que je suis de la journée qui s'annonce, et de l'appartement dans lequel je me trouve. Je répète de 9h30 à 17h, en ayant de moults frissons de bonheurs grâces aux petites merveilles que me permet mon jamman. Le soir je rejoins les suisses au port de Funchal, nous rpenons un café et discutons longuement, de la suisse, du mariage, et du voyage sur Gédeon et sur leur bateau. Ils sont décidément trop sympas, et je commence à franchement les aimer. On se quitte, et je retourne en bus toute seule à Caniço chez Reinaldo, en ayant des sueurs froides parce que la nuit je ne reconnais absolument rien et suis incapable d'expliquer au chauffeur ou j'habite. Finalement je descends pas très sûre de moi au bon arrêt et me couche un peu anxieuse pour le concert du lendemain, mais heureuse.
Samedi, jour du concert. C'est l'effervescence dans ma tête. Un stress me pèse au sternum, c'est mon point de pression qui se réveille. Ce phénomène est apparu la première fois à quinze ans lors d'une tournée au Maroc. J'étais au lit, j'avais un fou rire, et tout d'un coup, un coup de couteau dans le thorax, entre les seins, au niveau du sternum. Je me fige, me tords de douleur devant mes copines Hélène et Sophie un peu interloquées, qui ne croîent pas du tout à ce mal. Je me mets à pleurer, puis voyant leurs expressions de plus en plus consternée, pars dans un fou rire, ce qui diminue ma crédibilité. Hélène sans explication fonce droit sur moi et m'assène un énorme coup à l'endroit où je souffre, ce qui augment mon fou rire, et par là même mon mal. On appelle le médecin qui conclue que c'est un "point de pression". Jamais su ce que ça voulait dire vraiment, mais cet épisode restera un grand souvenir de ma jeunesse, et en particulier la réaction complètement innatendue et innexplicable d´Héléne, après coup absolument tordante.

Le point de pression est donc de retour, je me calme, me dis que ça va bien se passer, et me met au travail pour écarter au maximum toute éventualité de foirage. Je bosse 4h pendant que Reinaldo passe le déjeuner en famille, puis à son retour, nous partons pour Quinta do Lorde.
Il me dépose avec toutes mes affaires, et je m'installe gentiment à 18h devant les tables où une demi-douzaine de clients sifflent leurs bières.

La fin d'une ère

Denis est parti. Très vite, un matin, comme ça, deux bises sur la joue et salut! Je savais que c'était le jour de son départ, mais après tout ce qu'on avait vécu, de bon ou de mauvais, je m'attendais à une longue accolade, à des yeux humides, à des mouchoirs qu'on secoue, et des tête qu'on tournevisse jusqu'à l'ultime coup d'oeil... Mais non, il n'y eut rien de tel.
Je sortais de la salle de douche, et m'apprêtais à le rejoindre au Captain's bar, le café de la marina de Quinta, pour boire un dernier café cum leite avec lui. Mais il en revenait déjà et me dit:" je pars maintenant, tu viens tenir le bateau?" Je n'étais pas du tout préparée. Je l'accompagnai au Catway, et pendant qu'il montait et allumait le moteur, j'enlaçai le balcon avant de Gédéon, et le tenai une dernière fois dans mes bras, j'étais terriblement triste. Avec le départ de Denis, je réalisai que c'était la fin d'un moment, d'un voyage, et soudain tous les mauvais souvenirs s'effacèrent, ne restaient que les bons, et je ne voulais plus que Denis ni Gédéon partent. Je voulais qu'ils restent une semaine encore, ou deux, ou quatre, ou dix, maintenant que mon esprit mettait définitivement de côté les gênes, les ressentiments et l'embarras. Une fois les amarres rendues à Gédeon, Denis descendit sur le catway, me claqua deux furtifs baisers sur les joues accompagnés d'un froid "Allez salut!" et remonta sur son bateau, sur sa maison, sur sa vie. Déjà je courrai au bout du catway pour regarder le plus longtemps possible Gédéon et mon capitaine, mon Denis, s'éloigner, et disparaître sur l'Atlantique.
Ensuite j'écrivis un long texto de remerciement au voluptueux, regrettant que les adieux eurent été si expéditifs, le remerciant pour tout ce qu'il m'avait appris et fait vivre. Il me répondit "Merci à toi, jeune fille que j'aurais tant aimé tenir dans mes bras"....

dimanche 27 septembre 2009

Martin, the crazy czech


Martin, la première fois que je l'ai apperçu, il marchait sur le quai de la Marina de Porto Santo. Il m'a tout de suite plu, parce qu'il avait un vieux short en jean, un t-shirt délavé ou pas lavé, des vieilles tongs, une vieille casquette, mais il était quand même beau, avec ses boucles dorées et son regard azur. Je me suis dit, ce mec là, il est certainement très cool. Il ne fait pas attention à sa tenue, moi je trouve ça irrésistible. Je ne supporte pas les mecs apprêtés et maniaques du rangement, qui sont du genre à plier leur pantalon avant de se coucher. Moi j'aime l'homme quand il balance ses affaires par terre le soir et quand au matin il choisit sa tenue en prenant ce qu'il y a de plus facilement accessible dans son placard, sans se soucier de savoir si les couleurs ou les matières concordent. Moi j'aime les mâles, pas les metromachinchoses. Martin ça se voyait tout de suite, c'était un bon mâle. Il sentait le fauve de loin, moi j'aime aussi quand le mâle sent le fauve. Un homme qui sent bon c'est louche. Soit ça ne bouge pas assez, soit ça fait trop attention, et faire attention, c'est pas sexy, pour moi, c'est carrément rédhibitoire.
De loin donc, Martin me plaisait beaucoup.
La seconde fois que je le vis, ce fut sur Gédéon, en compagnie de celle que je pensais être sa copine, Maya. Là j'ai tout de suite oublié mon béguin quand j'ai constaté que la place était prise, et je l'ai dit auparavant, j'étais en plus complètement outrée par ses clins d'oeils intempestifs, la femme trahie en moi levait le poing devant cet autre exemple de la cochonnerie masculine. Je me dis donc, Martin, c'est un beau con, et pis c'est tout! Et peut toujours crever pour que je lui adresse la parole. Je ne lui parlai donc pas, et ne parlais qu'à Maya, charmante, adorable, mais pourquoi ce connard voulait-il la tromper??? Polpmi pardel kurva!

Ensuite j'appris qu'ils n'étaient pas en couple, et passai donc une soirée très agréable avec lui, malheureusement, on avait pas vraiment d'atomes crochus, car même s'il baragouine un peu de franglais, il avait du mal à me comprendre et moi aussi. Et puis franchement, on s'était vus deux fois, on avait pas grand chose à se dire. Et je me rendis assez vite compte les jours suivants que Maya était toujours là, qu'elle nous servait d'interprète et que la situation ne faisait pas vraiment rêver. Donc je m'eloignai très gentiment du tchèque sans grands regrets, car bon, réflexion faite, je trouvais notre relation sans intérêt.

On s'entendait quand même bien, il m'apprenait des mots tchèques, et pas que des gros, d'autres sympas aussi, seïch fakt dubra, polip mié, mié loï tie, té motz, etc...et moi je lui apprenais à prononcer correctement vas te faire foutre et bordel de merde, très bon enfant quoi.

Et puis donc un jour, il me montre son film. Voici donc l'histoire de Martin, the crazy czech.

Martin est donc né en Republique tchèque, un pays entouré de plein d'autres pays, et où il n'y a pas la mer. Martin avait un grand-père un peu fou, très bricoleur, malin et débrouillard, qui lui a fait participé à tous ses projets un peu tarés, comme la construction d'une sorte deltaplane sur ski qui vole pas et qui est propulsé par un ventilo (pas trop compris, la communication n'est pas facile, on s'en souvient). Il a transmis à son petit fils son goût pour la construction et son grain de folie. Ensemble, ils ont pris les plans d'un catamaran d'environ 7 mètres en bois habitable constructible par n'importe lequel des particuliers, le wareham, et ils l'ont construit. Et puis le grand-père est mort. Moment extrêmement difficile pour Martin, qui a quand même continué à porter en lui les rêves et les projets de cet homme qui était plus qu'un père ou qu'un mentor, un véritable dieu. Une fois le wareham construit et mis à l'eau sur un lac tchèque avec succès, Martin décide de prendre la mer avec, et quand vous voyez l'aspect de la machine, tout en bois, ultra roots, bic et broc, vous vous dites, ce mec n'a peur de rien...En plus il était tout jeune, il devait avoir 18-20 ans à l'époque... D'abord il a dû le démonter et il l'a amené je ne me souviens plus trés bien où (il était trés tard et le film était long, plein d'anecdotes, toutes plus folles les unes que les autres), l'a remonté, et à travers les canaux, les rivieres, les fleuves , dématé et au moteur, il l'a amené jusqu'à Port Saint-Louis, à côté de Marseille. depuis la République tchèque ça fait une trotte quand même... Je me souviens d'une photo surréaliste de Martin à bord de son Wareham sur la Seine à côté de l'île de la cité...! Dingue... Bref, il finit par arriver sur la mer, enfin, après un voyage de je ne sais pas combien de mois, il navigue sur la Méditerranée. Il y vit et met de l'argent de côté en s'occupant de l'électricité à bord des bateaux.
Puis il part pour faire le tour de l'Italie avec son raffiot. Une longue route, le bateau essuyant moults avaries, Martin s'en prenant plein la tronche, dans le bon sens comme dans le mauvais. Il s'en prend plein les yeux au niveau des paysages qu'il découvre, de l'expérience qu'il fait du voyage, du partage, des rencontres, etc... Plein la tronche parce que son bateau c'est le radeau de la méduse, à la fin il porte en premanence une coque en plastique sur le nez car il était tout le temps rincé par les vagues, et qu'avec le soleil, l'eau salée de la mer lui décapait la peau du nez. une fois qu'il a remonté toute la botte de l'Italie jusqu'á l'autre côté, quand il en a fait le tour, en plusieurs mois aussi car il faut s'arrêter pour travailler et accumuler des sous pour repartir, il en a eu marre et a fait ramener le bateau par la route en rep. tchèque.
Avec son bateau, et son énorme voyage, plus sa nationalité plus qu'improbable pour un marin, Martin n'est pas passé innaperçu, et son histoire en a passionné plus d'un. Dont une radio tchèque qui lui a demandé d'en faire le récit sur les ondes.
Martin raconte: construction, acheminement, voyages, péripéties, mais maintenant il en a sa claque, le wareham té mootz, mais c'est fatiguant, trop dur, it's too much. Il voudrait un vrai bateau maintenant.

Une femme écoute à la radio l'histoire de Martin. Elle est fraîchement veuve. Son mari a passé vingt ans de sa vie à construire lui même son voilier, sur ses plans, avec ses mains, il a fait deux sorties avec, sur des lacs, et puis il est mort. Tragique. Il n'a même pas pris une seule fois la mer avec. Elle se retrouve avec un gros bateau sur le dos, le travail de toute une vie, le fruit d'une passion, d'un amour, d'un rêve. Le jeune Martin lui fait penser à son mari défunt, acharné, passionné, rêveur. Elle appelle la radio. Puis appelle Martin. Et lui donne le bateau de son mari. Comme ça, gratuit. Parce qu'il le mérite, parce qu'il le vaut bien. Parce qu'il n'a rien mais qu'il n'a pas peur de tout perdre, parce qu'il fait prendre corps à ses rêves, comme son mari a fait prendre corps au sien, à son bateau, son rêve, sa vie.

Martin a pris le voilier, l'a mis à port Saint-Louis, et Maya, folle aussi, volontaire, acharnée et rêveuse, l'a suivi. Maintenant ils veulent aller aux caraïbes, mais ils n'ont plus un sou, alors ils vont travailler à Madère comme moi en attendant de partir. On s'est appelé "the crazy group" parce qu'on a tous conscience qu'on est un peu tarés, et que ce qu'on fait n'est pas normal.

Après le visionnage du film, débrief cacao-clope avec Maya qui est revenue sur le bateau, qui me raconte le grand-père etc... moi béate d'admiration, arrivant à peine à croire que ce Martin auquel je ne m'intéressais pas plus que ça, était en fait un héros des temps modernes. Ce que je ne comprennais pas non plus, c'est qu'elle ne lui saute pas dessus. Attends ma poulette, un mec comme ça t'en croises pas deux dans une vie! Tu vis avec lui, sur son bateau, et t'es pas folle amoureuse????! Mais moi je l'épouse demain ton Martin! J'apprends le tchèque et je fais ma demande! Réponse désabusée de Maya... Moi je ne comprends pas, mais je décide, malgré mon coup de foudre, de garder mes distances, leur histoire est obscure et je ne veux pas m'immiscer, ni me créer des problèmes avec des gens sympa que je vais côtoyer pendant au moins un bon mois.... Mais quand même le Martin, c'est le mec le plus fou que j'aie jamais rencontré, et de ma bouche, c'est une louange....

Je suis bien mieux sur le quai des adieux

Déjà je me détachai un peu de la marina de Quinta do Lorde, pour aller m'enraciner à Funchal, chanter dans les bars, faire parler de moi, de ma situation, de mon projet, et trouver un embarquement. Je voyais moins les tchèques, qui suivaient Denis comme son ombre car il avait une voiture louée, et mois je me démerdais pour me déplacer seule, bus ou stop avec les marins de Quinta. Vint le jour du départ de Denis. La veille nous fîmes ripaille tous ensemble sur Gédeon, avec les suisses fraîchement arrivés, Anne une bateau-stoppeuse Montbelliarde, et le tchèque sans sa tchèque retenue au lit par une intoxication alimentaire. On a bu du vin, on a rigolé, tout le monde disait quel dommage sauf moi. Après je suis allé sur le bateau de Martin le tchèque, et il m'a montré un film qui racontait sa vie de marin en photos, vidéos et musique pour assortir le tout. Il est devenu depuis l'homme de ma vie, j'oubliai complètement le départ de Denis, et concentrai mon intérêt sur ce drôle d'oiseau migrateur qu'est Martin le tchèque.

Le désespoir est sur le quai des aurevoir

Bientôt il serait temps de nous séparer, Denis et moi. Mais malheureusement, tenue par des impératifs professionnels, je devais vagabonder seule dans Funchal guitare en bandoulière pour trouver des bars où chanter, ou sur le port pour trouver des bateaux où monter. Je me rendis à la marina de Funchal, sur le quai ou étaient amarrés à couple les bateaux accompagnateurs de la course. Lorsque j'avais envoyé un mail à tous les skipper, un bateau, le Peaudorange, m'avait dit que je pouvais venir lui rendre visite lorsqu'il arriverait à Funchal. Moi, naïve et optimiste comme je suis, je me disais qu'ils voulaient d'abord me connaître, et que chose faite, ils m'auraient bien évidemment embarquée. Lorsque j'arrivai sur le quai, tout d'abord je fus complètement éblouie par les bateaux qui s'y trouvaient. De vraies bombes, des énormes voiliers, racés, profilés, imposants. Ensuite je n'y voyais plus. L'éclatante beauté de la plupart des équipers qui se trouvaient à leurs bords m'avait rendue aveugle. Je cherche Hervé s'il vous plaît, je viens de la part de Rico. Oui c'est moi. Mon Dieu que tu es beau. Prends moi sur ton bateau, avec toi j'irai au bout du monde.
- Je suis Anne, la jeune fille qui vous a envoyé le mail, je voudrais embarquer pour accompagner la course.
- Désolé, on est complet.
Mais Hervé qu'est-ce que tu me chantes? Tu veux me tuer???? Tu me dis de venir te voir, mais pourquoi? Pour que je puisse admirer ta gueule d'amour et pleurer en pensant que jamais je ne la verrai détourée sur un ciel azur miroitant dans une eau limpide? Kurva! Polpmipardel ti vole!
Mon désespoir n'était pas complet, il y avait 5 autres bateaux, tous chargés de marins bronzés, étincellants, respirant l'écume et le bon air du grand large. J'allai les voir un par un, je tournai de ponts en ponts, passant de l'un à l'autre, virevoltante jupe blanche, adorable minois au regard décidé, on me soulevait, on me portait, on me déposait, mais jamais, on ne m'accepta.
On apprit à me connaître, on me voyait tous les jours, traînant dans le port, et on me demandait, alors t'as trouvé? Et je répondais que non, l'air déspéré, la moue boudeuse, mais l'optimisme ravageur. Mais oui, on te fait confiance, tu vas trouver. Un jour, celui où j'avais dégoté deux bars où chanter, je retrouvai Denis et compagnie au bar O Apolo sur les quais de la marina. Je passai devant une table où trinquaient gaiement l'équipage de Solo et Pen ar Clos, deux magnifiques voiliers accompagnateurs:
- Alors la p'tite, t'as trouvé?
Moi je ne savais plus ce que je cherchais, je cherchais tellement de choses, que je crus qu'ils voulaient parler des bars où chanter.
-Oh oui, j'ai trouvé! dis-je avec un sourire radieux. Bah oui j'étais quand même bien heureuse de pouvoir chanter à Madeire.
Clameur, joie parmis les équipiers, je me disais qu'ils étaient trop sympas d´être aussi contents pour moi.
- Alors tu vas sur lequel????
- Ah mais non, je voulais dire que j'ai trouvé des bars où chanter.
Déception, mais curiosité. Mais qu'est-ce que tu fabriques, pourquoi tu veux aller au Brésil, mais comment t'es venue, ah bah d'accord, pas froid aux yeux la p'tite, eh une place de plus allez, c'est pas grand chose...Oh oui, oh OUi! nen attends, y a les parents du suisse là, ils l'ont suivi jusqu'ici, va les voir, ils vont peu-être au Brésil, oh la la, génial, merci les gars! Eh, donne nous ton numéro on sait jamais, et marque là où et quand tu chantes, si on a le temps on passera te voir... Oh lala, trop sympa les mecs, a tchao, j'vais voir les p'tits suisses! Attends demain plutôt, leur fils vient d'arriver, il faut les laisser se retrouver. Ok demain alors.
Le lendemain je fonçai à Funchal, allai voir les suisses qui m'annoncèrent qu'ils n'allaient pas au Brésil cette fois-ci, pas prêts, la fois suivante. AAAAAAAAAAAAAAhhhhhhhhhhhhhhh! Y en a marre des faux espoirs!!!! Dépitée je déambulai guitare au dos dans le port, à côté des bateaux, entre les tentes du PC course... Un gars de l'organisation, je ne le connaissais même pas, je ne l'avais jamais vu, ni rencontré, vient me voir et me dit: "alors t'as trouvé?" " mais comment tu sais que je cherche?" " bah tout le monde le sait" ah... pas mal, au moins tout le monde savait que j'existais et que j'étais au desespoir, un jour peut-être, on me ferait signe. Il me dit qu'un septième bateau accompagnateur était arrivé, un Amel avec seulement trois personnes à bord. Les Amel je les connaît bien, ils étaient à côté du Lansart des des Georges au salon du Grand Pavois de la Rochelle, on l'a visité avec Sophie, et on aurait bien dormi dedans, c'est spacieux et luxueux. Je volais, fonçais, on me refusait toujours pour cause de pas de place, un Amel c'est vaste, ils sont obligés de dire oui!!!!
J'arrive, je saute, je fais poliment demande, alors???? C'est oui???? Nan! on est trois et on est très bien. Je vous laisse mon numéro, au cas où vous changeriez d'avis... Tristesse, désespoir, blues, vague à l'âme....Mais pourquoi? Pourquoi????!!! Normalement je fais tout ce que je veux, on ne me refuse rien, on ne me dit pas non à moi! c'est un mot que je ne connais pas, non mais c'est incroyable le toupet des gens!!! J'ai demandé poliment, j'ai dit s'il vous plaît! J'envoyais l'Amel au diable, aux enfers, à tous les vents, je fumais. Mais ne perdais pas espoir, l'Atlantique, je le traverserai en bateau, et si je le veux, je le peux. Impossible n'est pas Saint-Périer, aide-toi et le ciel t'aidera, merci Papa Maman pour les petits proverbes qui donnent du courage. Prie Sainte-Rita, Saint-Yves, un jour la mer te prendra et te déposera sur les côtes brésiliennes, ça n'est qu'une question de patience et d'acharnement.

Marina mon amour, la suite



La vie dans une marina, c'est tout simplement génial, géant, énorme, fantasique, phénoménal. On est obligé de dire bonjour à ses voisins car ils se trouvent à moins d'un mètre de vous, on apprend à se connaître; d'où venez-vous, où allez-vous, que faites vous, je peux visiter l'intérieur de votre bateau, avez-vous un tire-bouchon, ça vous tente un petit coup de rouge, vous savez jouer du bob dylan, on peut squatter votre voiture demain, vous avez internet, etc, etc... Dans la jungle des mâts, des catway, et des marins, c'est la loi du plus sympa. Brutale transition d'avec l'horrible seizième fermé, poudre aux yeux, vaniteux. L'autre avantage est que dans un voilier, si grand et spacieux soit-il, on se sent toujours un peu confiné, donc en géneral, on ne reste à l'intérieur que pour dormir ou cuisiner. Le reste du temps, on est sur le pont, le sien, ou celui des autres, ou au café de la marina, ou à la plage, ou en train de visiter le coin. On ne reste pas chez soi à glander devant la téloche ou a zoner sur facebook (je parle de moi bien-sûr). Dans une marina, on est au grand air, on est avec des gens qui souvent sont aussi cool que vous, partagent la même passion pour le voyage, la mer, la voile, et n'importe quel prétexte est bon pour engager la conversation. Bref, la vie dans la marina, ça déchire, te mooootz (ça déchire en tchèque, j'apprends j'apprends). Et moi plus tard, on l'a compris, je vivrai dans une marina. D'ailleurs je suis bien embêtée car il n'y a pas de port à Itacaré au Brésil, donc pas de marina, donc pas de chantier, donc pas de bateau... Fakt kurva.

vendredi 25 septembre 2009

Marina mon amour






Tout d'abord complètement dégoûtée à l'idée d'être à terre, je n'ai pas vu tout le charme que pouvait avoir la vie dans une marina. J'allais sans arrêt au cyber, si bien que je me fis copine avec le responsable de l'endroit, qui tenait aussi une boîte de nuit. Ce qui m'a valu de passer une soirée complètement surréaliste aux "Docks" la discothèque locale, qui se trouvait juste à côté de la marina. Je m'y suis rendue avec le DJ et mon pote du cyber, Miguel. Morte saison oblige, on etait TROIS dans la boîte, autant dire que moi qui n'aime pas les rassemblements de masses, j'étais aux anges.... J'ai goûté de l'alcool en gélatine, appris plein de gros mots en portugais, et suis allée me coucher bien gentiment à 3h du mat, ravie d'avoir teinté ma soirée de couleurs locales. Le lendemain on nous a changé de place, et nous avons rencontré nos voisins. Un couple de suisses d´à peu près mon âge, qui prenaient un an pour faire un grand voyage en bateau jusqu'aux Caraibes. Martin et Myriam. On leur a proposé du blanc qu'ils ont accepté et on s'est mis à faire connaissance. Martin travaille dans une boîte qui fabrique des caméras pour les relevés topographiques en avion, et Myriam est institutrice de cm2. Ils sont suisses allemands donc on communiquait en anglais. Myriam avait pris un petit yukulélé avec elle, cent fois plus beau que le mien, je crevais de jalousie. Lorsqu'ils me demandèrent ce que je faisais dans la vie, je répondis, c'est un réflexe désormais, "rien". C'est pour m'éviter d'en raconter des tartines, parce que quand j'explique ce que je fais dans la vie, ça dure 3h. Ils ont eu l'air satisfaits de ma réponse, j'avais gagné. Mais ils y sont revenus un moment plus tard:
- So Anne, What do you do?- Nothing, I am travelling to Brazil.
- Oh your gonna spend your holidays there?
- Nope, I am gonna sing in the bars.
- Oh you are a singer then?
- Yes, I want to be.
- And did you do studies in France?
Et c'était parti pour un éternité d'explications, parce que le gens, quand on leur dit qu'on a pas de diplôme, qu'on est pas marié et qu'on a pas d'enfants, ils veulent savoir comment ça se fait.

Le soir, on dînait avec Denis, et on avait décidé de taguer "GEDEON Anne et Denis 2009" sur le mur de la marina qui était recouvert des noms des bateaux précédents. Pendant qu'il faisait le pochoir dans du carton, je jouais de la guitare et lui chantais toutes les chansons du répertoire des chansons françaises de notre enfance, Bon voyage monsieur Dumollet, le cantonnier, tout va très bien madame la marquise, Ne pleure pas Jeanette (ma préferée, le Jeanette ça sera le nom de mon voilier), elles sont toutes en do la fa sol ce qui facilite considérablement le choses... Myriam est arrivée avec une tchèque, Maya. Mais comment diable des tchèques peuvent-ils se trouver dans une marina??? On le saura plus tard. Elles voulaient chanter des chansons. Myriam avait un livret de chansons scouts anglaises, avec du Bob Dylan, Simon and Garfunkel, moi j'avais les Beatles et les Rolling Stones, elle sont montées à bord et on chanté tous ensemble. Inutile de vous dire que Denis était comme un coq en pâte, avec trois jeunettes sur son bateau, il était le roi du monde, ou de la basse-cour, au choix. Sont arrivé ensuite les deux Martin, Martin le suisse et Martin le tchèque, munis de leurs appareils photos, mitraillant à tout va; le tapis rouge du festival de Cannes sur Gédéon. Je pris tout de suite Martin le tchèque en grippe: j'étais persuadée qu'il était en couple avec Maya, et il me faisait des clins d'oeils sans arrêt. Moi, fraîchement cocue, je trouvais cela insupportable, polipmi pardel !(c'est du tchèque, c'est très vulgaire).

Denis termina le pochoir et nous allâmes tous ensemble, caméras et appareils photos au poing, l'apposer sur le mur de la marina. J'étais ravie. Quelle ambiance, quelle sympathie, quelle fraternité! Incroyable. On chantait, on rigolait, chacun affichait un patriotisme tonitruant, tout cela dans un esprit on ne peut plus bon enfant, en mettant de côté les tentatives d'adultère clignotantes du tchèque.

Denis et moi etions très dèçus que notre départ fut fixé au lendemain, mais il fallait aller à Madère, il fallait trouver un embarquement. Nous nous séparâmes (je ne sais pas pourquoi le passé simple revient à la charge tout seul, ç't'agaçant!), et chacun rentra se coucher dans son voilier.


Le lendemain était aussi notre dernier jour de nav avec Denis, et évidemment, c'était la pétole, pas un gramme de vent. On s'est donc mis au moteur, mais tout doucement, car le temps était au beau fixe, on voulait en profiter. J'ai passé ma journée assise, allongée ou perchée sur le balcon avant, avec mon kit de survie; bouquin, mp3, appareil photo, clopes, et café au lait. On est arrivés au coucher du soleil à la Marina de Porto Santo, marina très chic, sur le papier, parce que pour le moment, elle est encore en construction, et le cyber, le mini-market, les boutiques etc... c'est encore à l'état de projet, ma ça promet d´être pas mal.


On s'est tout de suite acoquinés avec un couple de retraités anglais qui partageaient notre catway, Sue and on ne saura jamais son prénom parce qu'on a toujours éte incapable de le retenir... Le lendemain de notre arrivée fut une journée extrêmement riche d'expériences nouvelles. Tout d'abord le matin, j'allai aux toilettes-douches hypra luxueuses, et découvris avec horreur que des vielles dames à la peau frippée et aux muscles flageollants s'y balladaient allègrement toutes nues, tous poils pubiens dehors, à la fraîche. Je tentais de garder les yeux au sol, mais étais quand même très curieuse de savoir quelle évolution le temps allait donner à mon corps, et je compris alors le penchant de Denis pour les jeunettes, et son refus catégorique de goûter les femmes de son âge (qu'il n'a jamais voulu m'avouer d'ailleurs...). Affolée, je me jurai d'arrêter de fumer une fois installée au Brésil et tous stress écartés, et de consulter un expert de la jeunesse carnet et crayon à la main histoire de savoir exactement quoi faire pour éviter le plus longtemps possible l'innévitable, la décrépitude, le pourrissement.... (pardon les vieux..!).

Ensuite, toute proprette, mais un peu déprimée par cette autre découverte, j'allai à Gédéon, et m'installai sur son pont avec ma guitare, histoire de casser les oreilles aux riches retraités de la marina. Je leur en voulais de m'avoir offert le spectacle désolant de leur vieillesse et entrepris de me venger en donnant celui éclatant de ma jeunesse. Sue sortit de dessous son canopee, une flûte traversière à la main et me proposa de partager sa musique et l'ombre de Spruce, son voilier. J'acceptai, ravie de cette nouvelle rencontre innatendue et tellement naturelle. Claire, une autre anglaise nous rejoignît, et je me retrouvai bientôt avec les deux oies des aristochats, les accents, la voix, elles avaient tout! On a chanté des chansons folks british, hyper sympa, guitare, flûte, voix, une petit concert improvisé sur Spruce, les anglaises charmées, Anne irradiante de bonheur, découvrant les doux attraits de la vie dans les marinas.


Plus tard dans la journée, qui croisons-nous? Le couple de tchèques! Ils nous avaient rejoint! Mon bonheur était total, je retrouvais ma copine Maya, dit à peine bonjour au clignotant, et nous décidâmes de nous rentre tous les quatre le soir même à la fête du village d'´à côté, Caniçal, où un bal populaire était donné en l'honneur des pêcheurs. On décida d'y aller à pied. Maya et moi précédions Martin et Denis. Je fis confidence à Maya du béguin de Denis, elle me conseilla:
- You should kiss a young man just in front of him tonight, like this he will leave you alone...
- yes, probably...You you don´t have this kind of problems, you have Martin...!
- Oh but we are not couple!
- WHAT?
Attends ma mignonne, Martin le beau gosse blond aux yeux bleus aux allures de loup de mer avec ses longues bouclette qui me fait de l'oeil toutes les deux secondes, Martin les appels de phares est libre????
- Yes, we are like brother and sisters...
- No way, it's imposible, it doesn't exist.
Elle m'expliqua le comment du pourquoi, bref, à la fête du village, je lui collai le plus beau portugais que j'avais trouvé, baptisé "white hat", dans les pattes, trouvai une locale assez jolie pour Denis, et passai la soirée avec Martin le tchèque à danser boire et prendre des photos. La plus mémorable d'entre elles étant celle prise avec un nain complètement survolté qui dansait avec toutes les filles en leur hurlant des "daalé daalé" (donne, donne!), la mascotte de la soirée.
On est rentrés à 4h du mat, ravis, fourbus, tous complètement ronds.




jeudi 24 septembre 2009

Des enchantements


Nous arrivâmes à Porto Santo, une petite île au nord de Madère, pendant la nuit, et en silence. Chacun notre tour nous barrions, et nous avions le regard fixé sur cette vision surréaliste après presque dix jours en pleine mer et loin des côtes, de cailloux qui émergeaient de l'eau, baignant dans un hâlo de lumière. Je ne sais pas comment se sentait Denis, mais moi j'avais l'impression d'être en plein rêve, et je ne pouvais croire que devant nous se dressait la terre. Je regardais, mais je ne voyais pas, je ne réalisais pas.
A 4h du matin, nous étions au mouillage, dans la marina de Porto Santo.
Soudain, plus de bruit, plus de clapot, plus de vent.
Le silence, le calme, la stabilité.
Angoissant, déprimant.
J'étais complètement épuisée, mais ne voulais pas me coucher. La tranquilité de ma couchette ne m'attirait absolument pas.
Nous nous félicitâmes avec Denis, nous fîmes la bise pour la seconde fois de notre vie, ce que je trouvai proprement ridicule; pourquoi, sous prétexte que nous étions rendus à la civilisation, devions nous changer notre comportement et avoir des réflexes que nous n'avions jamais eu en mer?
Il alla se coucher, je fumai une cigarette allongée sur le balcon avant en écoutant la douce musique de "mad world". Dans le ciel, beaucoup moins d'étoiles, autour de nous, du béton, à terre, les gens. Back to the mad world, justement.
Finalement, sans tomber, sans me cogner, sans trébucher, j'allai sur ma couchette, et m'endormis d'un sommeil lourd, ou plutôt, d'un sommeil pesant.
Le lendemain, il pleuvait. Temps pourri. Humeur désastreuse. J'entendis Denis s'activer sur le pont. J'enfilai sans me changer ni brosser mes dents, ma salopette ciré adorée et grimpai sur le pont donner un coup de main. Il me mis au moteur pour préparer l'accostage sur le catway. Je m'éxécutai, m'assis sur le coffre la barre à la main, et pour la première fois depuis le début de ce voyage, alors qu'à maintes reprises l'occasion m'en avait déjà éte donnée, je pleurai. Discrètement, tout doucement, des grosses larmes d'une tristesse infinie coulaient sur mes joues. Il pleuvait dans ma tête, il pleuvait dans mon âme, il pleuvait dans mon coeur. Je regardais la mer, les montagnes, le béton, j'étais complètement et profondément déprimée, et je ne pouvais plus m´arrêter. Denis revins vers moi, et je tournai bien vite la tête pour tout sécher, mais au fond de moi, il tombait des cordes.

Lorsque nous accostâmes, je sautai sur le pont et me rétamai royalement sur le derrière mon pied à peine posé par terre, devant un douanier mort de rire, que je fusillai aussitôt du regard. Je n'avais plus le sens de l'humour, et j'avais mal aux fesses. Nous nous rendîmes à son bureau. Sur le trajet, j'avais des sueurs froides, des frissons, je ne pouvais pas marcher droit, j'avais envie de pleurer, j'avais envie de vomir. Je regardais d'un air désespéré le douanier marcher devant moi, je le trouvais affreux, le port était affreux, le troquet de la marina O Pato Bravo était affreux, les portugais étaient affreux, tout était affreux.
Dans soñ bureau, le douanier inscrivit nos noms sur le registre. Evidemment, il buta sur le mien, Anne de Poilloue de Saint perier de Kergorlay, pour Jose Drumond, c'était du charabia. Cela m'obligea à faire preuve de patience et d'amabilité, je m'efforçai donc de sourire, ce qui causa un renversement total de mes sensations. Maintenant j'étais victime d'un fou rire irrépressible, toujours frissonnant et suant, je contenais très difficilement mon sérieux devant José. Surtout lorsqu'il me demanda si je connaissais Madonna, et qu'il se mit a fredonner (il avait une cinquantaine d'année) avec une voix de fausset "I don't wanna hear, I don't wanna know, please don't say you're sorry..."
Ensuite, il me dit que j'étais une jolie française, et demanda à Denis si j´étais sa fille. Non. Sa femme? Non plus. Le douanier claironna que sa femme avait 27 ans, ce qui expliquait sa connaissance experte des paroles de Madonna. Denis murmura un "il y en a qui ont bien de la chance" en se retournant vers moi, et de nouveau, j'eus envie de pleurer.
En me levant je tanguais toujours, et nous nous dirigeâmes vers le Pato Bravo. Cafe cum leite, cafe solo. Denis mis son portable à l'oreille, je sifflai que j'étais bien contente que le mien ne marche pas à l'étranger, je n'avais aucune envie de me "connecter". Denis me le tendit quand même, et je l'allumai à tout hasard. Oh! je peux écouter mes messages. J'écoutai et cru mourir de bonheur; désistement sur Pen ar Clos, je dois rappeler Jean-Claude au plus vite. Message du 5 septembre, jour du départ. Stress, énorme, était-ce toujours d'actualité? J'appelai immédiatement. Jean-Claude était en train de déjeuner, il me rappellerait plus tard. Surexcitation d'Anne, hallu totale de Denis, décidément, t'as le cul bordé de nouilles toi. J'appelai ensuite Papa et Maman, rassurés, heureux, je leurs cachai tout de ma découverte à propos de Denis le voluptueux, mais appelai tout de suite les copines pour tout dire, vider mon sac et me soulager un peu de cette terrible nouvelle.
Fin des coups de fil des deux côtés. Seule avec Denis à Porto Santo, l'angoisse.... Surtout que maintenant qu'on était à terre, il devenait tactile, voulait me prendre à parti en me touchant le bras, la main, ou la jambe, j'en avais froid dans le dos. Je faisais des bonds de trois mètres à chaque fois qu'il posait la main sur moi, et à la fin je ne lui laissai même plus l'occasion de la poser, j'anticipai, j'étais en mode "on esquive Denis", et me reculais ou me décalais dès que je sentais que le voluptueux allait frapper.
Très vite je cherchai des péretextes pour être seule, ou plutôt, pour ne pas être avec Denis. Je le tenais en sainte horreur. La douche, c'est bien ça. Je peux avoir la clef s'il te plaît? Fais gaffe j'ai fait un double... Ah ah. Très drôle.
J'allai dans la douche, oh! une glace. La première que je voyais dix jours. Chouettouille, j'étais toute mince. Ventre plat, il y avait des fesses, il y restait des seins, vive l'hauturier! Double chouetouille, j'étais toute bronzée, mes cheveux étaient dorés. Merdouille, j'allais sentir bon, j'allais être propre, Denis allait tomber.
Ne pas trop frotter, ne pas mettre de crème, ne pas se coiffer, le minimum vital. Jean-Claude appela, me dit d'appeler Eric Dumont, qui me dit que la place était prise. Mais tout étonné qu'il était de mon histoire et de ma démarche, il me promit de m'envoyer le mail de tous les chefs d'équipage des bateaux accompagnateur de la course. Merci Rico!!!

En sortant de la salle de bain, je vois (on passe au présent, j'en ai marre du passé simple) des vacanciers rentrant de la plage à côté de la Marina, qui s'engouffrent dans un break. "Perdon, eu vo ir no centro, e posible por favor? sim, sim." Ils comprennent le portugol, c'est cool. Je textotte Denis que j'ai trouvé une voiture et qu'on se retrouve dans deux heures au cyber du centre. Deux heures de liberté, YES! Je me précipite sur un computeur, écris message culotte aux chefs d'équipages, écris blog, écris mail. 20h déjà. Oh non. Je vais devoir me tapper ballade romantique dans le village avec Denis. On se ballade, on lèche-vitrine, on achète repas du soir, on retourne à Gédéon. Je constate avec bonheur que la terre offre un avantage non-négligeable, celui de pouvoir cuisiner en toute stabilite. Petit vin blanc et côtes de porcs m'aident à oublier ma répulsion pour Denis, on mange bien, et on discute très gentiment jusque tard.
Le lendemain, Denis me dégoûte toujours, je me lève hypra tôt pour aller prendre mon café tranquilou au Pato Bravo. Je m'apprête à allumer ma cigarette, mon café fumant devant moi, quand je vois Denis qui rapplique. Zut flutte crotte. On fait quoi aujourd'hui? Bah moi je dois aller voir si j'ai pas des réponses des skipper, il faut que j'aille tout de suite au centre. Je t'accompagne. AAAAAAAAAAAhhhhhhhhhhhhhhh!!!! Et ça sera comme ça tout le temps. L'ours et la poupée, c'était devenu le chat et la souris. Moi qui invente mille prétextes pour aller écrire le blog sur internet, ma meilleure amie se fiance, mon ex me manque, ma vieille tante est malade, ma chienne va accoucher, etc... etc...

Reinaldo le couchsurfer vient me chercher, la suite au prochain épisode.

lundi 21 septembre 2009

La vie est un long fleuve tranquille














Cette tempête, ou ce temps frais pour les frileux, les pointilleux, les tâtillons, avait achevé de nous rapprocher, moi et mon capitaine. Face à l'adversité, un lien s'était tissé, que les jours verraient s'étoffer. La vie s'organisait en douceur sur Gédéon, chacun s'installant dans de petites habitudes; Papy et Mamie en goguette. Je me montrai sous mon meilleur jour: serviable, attentionnée, discrète, curieuse, rangée, (une Anne comme on ne l'avait jamais vue...)et lorsqu'il fallait manoeuvrer, je donnais tout. Mon mal de mer passé, j'attrappai un numéro de voiles et voiliers hors-série intitulé "la croisière pour les débutants" que mon capitaine m'avait mollement jeté à la figure au soir du premier jour. Je ne le lâchai plus jusqu'à connaître par coeur l'accastillage du bateau, du balcon arrière à l'avant, de la quille à la barre de flèche. Vint le moment de la manoeuvre. J'anticipais, je comprennais, j'agissais. Denis parlait de filière, de tambour d'enrouleur, d' hale-bas de tangon, je frappais, je prenais, je choquais. Un moment, j'hésitai deux secondes, il me dit: "fais pas ta blonde", je me jurai de ne plus jamais hésiter... Le vent soufflait toujours dans la même direction, si bien qu'après cette manoeuvre, nous pouvions nous croiser les bras et mettre les doigts de pieds en éventail pour un bon bout de temps. Le cap finistère était passé, nous faisions mer vers le sud par un vent de nord- nord-est, au grand largue. Un peu plus à l'aise sur le bateau, je me mis à écouter mon mp3 pendant le jour aussi. Je restais là, assise, allongée, sur les coffres de cockpit, sur le balcon avant, ma musique dans les oreilles, une petite bouteille de plastique remplie de café au lait que je biberonnais toute la journée, mes clopes au bec, et je contemplais jusqu'à plus soif. Je ne me lassais jamais du spectacle de la mer, des nuages et du ciel. Nous étions tout le temps seuls sur l'eau, très rarement nous voyions passer pétroliers et cargots que nous maudissions du poing. Moi je voulais quand même rigoler un peu et les appeler avec la vhf, mais n'osai demander pareille chose à mon capitaine, il fallait y aller en douceur....

Nous nous mîmes ( après six jours quand même...) à dîner ensemble. Denis restait dans la descende de cockpit et sortait son buste pour accompagner mon repas. Tous les soirs nous mangions de la soupe, et buvions un petit coup de rhum de la ville de Margarita, au Vénezuela. De plus en plus, nous discutions. Denis parlait, toujours un peu dans sa barbe, mais moins qu'avant, et je comprennais, allez, un bon 70% de ce qu'il disait. Nous nous découvrîmes mille points communs. Le club mickey de la plage de Saint-georges, la tarte aux prunes, le 16ème arrondissement où Denis a vécu, rue Decamps, à 500 metres de chez moi, le Scossa, devant lequel il est souvent passé, janson de Sailly où il a fait son collège et son lycée, Le choeur de Justus chéplustropqui où il a chanté et maman aussi, et j'en oublie sûrement d'autres... Denis trouvait cela intriguant, et Denis adore être intrigué. Avec moi il était servi... Je lui racontais ma vie complètement décousue, il m'appelait "jeune fille insolite". Un jour, le sixième je crois, nous prîmes à la ligne un thon. Enorme. Denis était surexcité, comme un gamin, pour la première fois je vis son visage s'illuminer. Il remonta la ligne, entreprit d'assommer notre petit miracle avec un bâton que nous appelions "batte" ou "gourdain" sous mes cris désolés, je voulais la bête en sashimi dans mon assiette, mais je ne voulais pas qu'elle souffre... Malheureusement le thon battu ouvrit un large bec, et lâcha l'hameçon.... déception de mon capitaine, qui garda quand même le sourire, et se laissa aller ce soir là, devant un coucher de soleil à couper le souffle, à quelques confidences sur sa vie amoureuse. J'appris que Denis avait eu deux grands amours, deux jeunes amours, d'une vingtaine d'années de moins que lui à chaque fois. Des musiciennes, chanteuses, qu'il a adoré et qui lui ont brisé le coeur. A chaque fois disait-il, c'étaient elles qui venaient à lui, le destin les mettait sur sa route. Je me demandais quand cela s'était passé car je lui trouvai beaucoup de nostalgie dans la voix lorsqu'il en évoqua le souvenir. Il semblait ne pas s'en être remis. Lorsque je rentrai dans la cabine faire la vaisselle après le dîner de ce sixième jour, il s'assit, mis ses lunettes, et dit:
- c'est curieux, ca m'intrigue...
- quoi donc?
- toute ces coincidences, ta présence sur ce bateau, c'est intriguant...
Moi à vrai dire, je suis habituée aux coincidences, et je n'étais pas plus surprise que ça. Je trouvais que c'était incroyable certes, mais je ne me demandais pas pourquoi tout cela était. C'était, point final. Mais par contre je ressentis un léger malaise lorsqu'il prononça la dernière phrase. Je ne pouvais dire exactement pourquoi, mais mon instinct s'était réveillé.




Denis me faisait de plus en plus rigoler. Un jour il m'emprunta mon mp3 et chanta les chansons à tue-tête, pendant que j'éclatais de rire en regardant cet homme que je prenais pour un ours mal lèché se détendre à mon contact. Il prit la décision d'investir dans cette petite bête, reconnaissant que c'était quand même le pied de naviguer en écoutant de la bonne musique.



Nous avions un petit jeu de rôle, noblesse et Portugal oblige, nous jouions a la maîtresse ou au maître, et à la conchita. Lorsque je demandais à Denis ce qu'il fabriquait par terre, il répondait "Ch'fé lou ménache", et lorsque j'allais laver nos assiettes je disais "ch'va faire la véchelle". Lorsque je montais sur le pont, je disais "je vais prendre l'air sur le pont supérieur", et nous nous amusions ainsi.


Nos journées se déroulaient de la manière suivante: je prenais mon quart après le dîner, au début vers 22h, et puis étant donné qu'au fur et à mesure que grandissait notre entente nos repas s'allongeaient, je prenais ensuite mon quart vers 23h, 23h30. Denis partait roupiller pendant que je m'installais confortablement sur le pont très chaudement vêtue, armée d'un bon bouquin, de ma lampe frontale, d'une bouteille d'eau, de cloppions, et du mp3. Quand le vent soufflait peu, je ne barrais pas, je laissais le beaufort nous conduire. Alors je lisais ou observais les étoiles et la lune. Je découvris avec bonheur que lorsqu'il n'y avait pas de lune, on voyait le plancton phosphorescent soulevé par les vagues de Gédéon. Sous la vôute des astres, sur le tapis de mer lumineux, la vue était champs-Elysesque.... Le plus drôle était que lorsque j'allais aux toilettes et tirais la chasse, c'était noel dans les WC!!!! Je pompais tant et plus, je n'avais rien vu de si luxueux...! Quand il y avait un peu plus d'air, je libérais le beaufort, et prenais la barre, en écoutant de l'électro galvanisante sur le lecteur; j'avais de constant frissons de bonheur, et voulais que jamais cela ne s'arrête. Je trichais alors un peu, et allongeais mon temps de veille, de 4h à 5h ou 6h d'affilées quand le vent continuait de souffler. Vers 3h, 4h ou 5h du matin, cela dépendait, je réveillais Denis, qui montait me remplacer. Je m'endormais bien crevée, et me réveillais le lendemain vers 9h-10h, car Denis choppait les ondes courtes qui font un bruit pas possible pour avoir internet, ou écoutait RFI. Souvent le matin, nous recevions des messages des parents, jean-Guy, et même Laurent, qui me mettaient dans une humeur plus que joyeuse pour le reste de la journée. A peine réveillée, j'allais aux nouvelles, avait-on croisé des cargots, où étions nous, quelle pointe de vitesse Denis avait-il fait etc... Puis je préparais le café pour nous deux, noir sans sucre pour Denis, au lait avec deux sucres pour moi. Je montais sur le pont avec ma bouteille, s'il y avait du vent, je barrais, sinon je glandais en lisant, dormant ou en jouant de la guitare. Puis soit denis soit moi préparions le déjeuner que nous prenions vers 15h et je faisais systématiquement la vaisselle, c'était la moindre des choses pour remercier mon capitaine de son hospitalité et de ses enseignements si obscurs furent-ils... j'allais sur le pont supérieur (Denis restait le plus souvent au bureau, ou a se reposer sur sa couchette), re-glandais ou barrais, et vers 18h je descendais pour une sieste de deux heures sur ma couchette, afin d'être en forme pour mon quart. Vers 20h le soleil commençait à baisser, et nous admirions l'astre des astre se coucher en dégustant du thon mariné aux pruneaux la "belle-iloise" tartiné sur des krisprolls, et en buvant du blanc, ou du rhum de Margarita. Puis nous dinions, et le cercle vertueux recommençait.



La bouteille de blanc (un délicieux petit Vouvray) terminée, j'écrivis un message en français, anglais et espagnol, donnant mon nom, mon adresse mail, la position de Gédeon, et demandant que l'on m'écrive si par hasard quelqu'un trouvait ce "message in a bottle". Je roulai le message, le mis dans la bouteiile, nous filmâmes (très spécial la narration au passé simple, j'ai parfois l'impression d'être d'une pédanterie sans limites...) l'évènement, le lancé, et ce fut un moment magique.
Je comptai alors mes "premières fois": première fois en haute mer, premier voyage avec un inconnu, première prise de pêche, premiers couchers de soleil aussi saisissants, première fois que je lançais une bouteille à la mer. J'émis un souhait, celui de voir pour la première fois des dauphins à la proue d'un bateau non touristique, gratos quoi.
Denis et moi nous entendions à merveille, et rigolions quasiment à chaque fois que nous nous adressions la parole. Nos discussions se faisaient de plus en plus longues, et Denis parlait de plus en plus fort, et de plus en plus, tout court. Mon bonheur était parfait, total, ne me manquaient que les dauphins.

Cependant, parfois une ombre passait dans ma tête, le même sentiment de malaise que je ressentis lorsque Denis me dit être intrigué par notre rencontre. Mon instinct se dressait quelque fois, et je compris ce qu'il essayait de me dire mais ne voulait pas l'entendre. Denis, le vieil ours mal-lèché, Denis l'affreux, Denis mon capitaine était en train de devenir Denis le voluptueux, Denis l'amoureux. Mes pieds étaient jolis, mon cou était grâcieux, moi-même, j'étais "trop", "insolite", une "intriguante jeune femme", un "oiseau du paradis" tombé droit du ciel dans le bateau de Denis le rêveur. Je tentais d'ignorer la gêne que me causait cette découverte, et le fit tant bien que mal jusqu'à ce que nous arrivâmes à terre.


Deux autres fois, nous avons eu du poisson. Un beau thon, au soir du 7ème jour, qui mordît juste une fois notre dîner avalé, ce que nous regrettâmes car nous voulions en faire des sashimis. Denis le prépara pour le lendemain à déjeuner, il le vida, lui coupa la tête, et le mis dans un sac de conservation carrefour, devant mon regard médusés et mes cris de dégoût effarés.... Le lendemain, il y avait deux évènements à ne pas rater, le déjeuner de steak de thon frais et ses pommes de terre en robe des champs, suivi par le spectacle donné à 20h d'un coucher de soleil qui promettait d´être splendide. Au bout d'un certain temps je pouvais prédire si le coucher de soleil allait en valoir la peine. Il fallait pour cela que le ciel soit clair, avec peu de nuages, mais suffisemment pour qu'ils puissent refléter les couleurs incroyables des rayons plongeant dans l'océan. Ce jour là, les conditions étaient idéales. Tout fut donc parfait, et je ne savais plus qui remercier, Denis, mes parents, moi ou le Seigneur, de l'inexistance duquel je doutais de plus en plus, trop enchantée, subjuguée que j'étais par la beauté qu'Il offrait et offre encore constamment à mes yeux éblouis.
Le lendemain du jour ou nous fîmes ripaille de ce poisson frais, au matin, un autre poisson mordit à l'hameçon! Denis me réveilla pour célébrer l'évènement, mais cette prise nous laissait perplexe... Nous n'arrivions pas à savoir, même en regardant dans un livre spécialisé, de quel poisson il s'agissait. Cela ne nous empêcha d'en faire un délicieux crumble dont j'avais trouvé la recette sur internet le jour de l'anniversaire de Maman. Nous nous régalâmes une fois de plus, et je mourrai quasiment de bonheur cette fois-ci. C'était trop ! Le ciel, la mer, Gédéon, Denis, le vent, le poisson frais, la guitare, le soleil, je n'en pouvais plus! Mais il manquait toujours les dauphins.






















Mon voeu fut exaucé le dernier jour de la traversée. Je me réveillais de la sieste. J'étais un tantinet de mauvais poil, à cause de la seule ombre au tableau idyllique que m'offrait ce voyage, le béguin de Denis. Je décidai donc de l'éviter (pas facile sur un bateau), et m'enfuis au balcon avant, tremper mes pieds dans l'eau en écoutant de la musique et en fumant mes cloppes. Le vent m'ébouriffait les cheveux, la mer m'éclaboussait, le soleil me réchauffait et Denis passa bien vite à la trappe. Frissons de bonheur sur frissons de bonheur. Au bout de dix minutes, une demie-douzaine de dauphins débarquèrent, et se mirent à courser Gédéon, à lui passer dessous, et à sauter devant lui. Je me levai d'un bond en criant, j'avais 4 ans de nouveau! Je n'étais plus qu'une petite boule de surexcitation et de joie, je sautais, criais, allais de tribord à babord, de babord à tribord, je pleurais quasiment de bonheur, j'étais en transe... Je remerciai Dieu, persuadée qu'il existait et qu'il devait sûrement m'adorer. Anne, celle que Jésus aimait.... Je courus prendre mon appareil photo pour filmer les merveilleuses créatures. En passant devant Denis je lui dis:
- C'est incroyable, je suis comblée, tous mes voeux ont été exaucés!!!!
- Pas les miens, me répondit-il.
Je compris ce qu'il voulait dire, mais ne relevai pas, faisant semblant de ne pas avoir prêté attention, je retournai à mes dauphins et immortalisai le moment.
Ils s'en allèrent, je restai sur le balcon avant, heureuse, sereine, j'étais merveilleusement bien, et n'avais aucune difficulté à mettre de côté cette petite ombre qui venait me chatouiller l'âme, j'étais devenue accro au bonheur, et douée pour ça.