dimanche 3 janvier 2010

Le journal de bord de la grande traversée, pot au noir, II

Huitième jour de nav. Déjá 1060 miles parcourus. 132 miles de moyenne journalière. Avalés, 16 degrés de latitude vers le sud. Et à 53 minutes, l´équateur, que nous traverserons dans neuf heures et trente minutes, à 11h30, si nous maintenons notre vitesse actuelle de 5 noeuds. Nous allons au près serré, cap au 207. Il est 23h50 en temps universel. Moitessier, sors de ce corps!!!!

Je suis du quart de chien. J´ai remplacé Nyels à la dernière minuite car je ne trouvais pas le sommeil. Reminiscence des insomnies de l´ouest parisien. Je pense, j´imagine ce que sera le Brésil. Je ne m´y figure pas ma vie là-bas, je m´y vois juste chanter, dans les rues, sur les places, à la fraîche. J´ai hâte de toucher terre et de gratter le premier accord devant les bahiannais. En ce moment je lis la longue route de Moitessier, et Damien Autour du monde, un bouquin absolument captivant, qui parle de trois jeunes de 18 ans, qui se donnent 5 ans pour économiser acheter, et préparer un voilier, Damien, qui leur fera faire le tour du monde par des endroits peu fréquentés en 5 autres années. Ces livres, à la fois me transportent, et me déséspèrent. Je me reconnais dans le désir de ces hommes de trouver la vérité et le sens de leur vie dans la beauté du voyage, l´ivresse et la sérennité du grand large, dans l´émotion de leur rencontre avec la nature, en mer, et avec l´homme, à terre. Mais je réalise au fur et à mesure que je lis ces gitans de l´océan qu´il ne me sera pas possible avant longtemps de pouvoir un jour posséder mon propre bateau, et tracer ma propre route, avec ma maison sur le dos. Il va falloir faire une croix temporaire sur le troly flottant. Avoir son propre voilier et acquérir l´expérience nécessaire pour le faire marcher soi-même est un défi qui demande énormément de temps, d´argent et de sacrifices, pour qui n´a pas les moyens de sortir de sa poche la somme rondelette permettant de s´offrir un bateau tout équipé avec skippeur intégré. Il y a une différence fondamentale entre ces hommes et moi. Déjà, je ne leur arrive pas à la cheville, ce sont des dieux vivants, des héros des temps modernes, ils ne seraient pas skippeurs, je les épouserais, même si maintenant ils sont probablement d´un âge avancé... Il faudra garder leurs ossements dans un sanctuaire dressé à leur gloire en haut d´une falaise, face à la mer, oú leurs louanges seront chantées tous les jours par des miliers de pèlerins venus des quatre coins du monde, à pied, à cheval, á la voile, se recueillir sur la tombe de ces jean-sans-peur, de ces coeurs vaillants, de ces hommes simples et purs, ces diamants d´innocence pour qui l´océan fut tout, pour qui il sera le néant. Tin tin tin tin! hop. Amen alléluia. Bref! Ces hommes, ces surhommes, ces demi-dieux aiment plus la mer que la terre, ils rêvent de traversées interminables, sans escales, d´eau jusqu´à plus soif, de vents qui les poussent jusqu´à la ligne d´horizon, pour les faire tomber de l´autre côté. Moi ça n´est pas du tout du tout mon cas! J´ai besoin de la terre pour chanter, répéter, et faire des grasses mat´. Oublié donc, le rêve d´indépendance en maison flottante. Mais le bateau restera mon mode de transport préféré, le bateau c´est le tapis volant qui m´emmène vers des destinations enchantées. Mais si un jour j´ai de l´argent, et beaucoup, je m´achèterai un voilier sympa, et me paierai le skipper qui va avec!
Une partie de moi est soulagée par ce trait que je tire sur mon désir d´avoir dans un futur pas trop éloigné, la capacité de posséder et skipper mon propre bateau. Ce constat que je fais confirme bel et bien mon envie, mon obsession à vouloir persévérer dans la musique, et dans la rue. J´appartiens à la rue et la rue m´appartient. Cela me rassure de savoir qu´aucune coquille de noix ne me fera virer de mon cap. J´attends le Brésil avec impatience, je le pense, je le rêve, à longueur de miles, je serai heureuse de poser enfin le pied à terre.

En attendant la vie suit son cours sur Pilou, et je peux proclamer non sans une fierté peu contenue qu´ enfin, je suis propre. Et oui, tel un bébé à qui on apprend à faire ses besoins dans le pot, on m´a initiée aux sciences de la juppe! La juppe c ést le marche pied au ras de l´eau qui se trouve à l´arrière du bateau. Tu vas sur la juppe, et tu fais, c´est que m´a dit Nyels. Deux jours que je n´ai pas mis le pied dans les toilettes de Pilou, deux jours que je n´ai pas pompé! Je ne peux pas pomper, la pompe de Pilou réclame une poigne de catcheuse texane, je suis une délicate jeune fille de l´ouest parisien, je ne pompe pas moi monsieur, je tire la chasse, et pis c´est tout! Depuis deux jours donc, je prends d´autres risques que ceux de péter les chiottes. Je prends le risque de passer à la bail pour un simple pissou, c´est terriblement grisant! Je suis propre donc, et les toilettes du bord aussi par conséquent, comme ça le chef peut faire son gros cacou du matin tranquilou bilou! Ouf! C´est déjà ça de retiré à la longue liste de toutes les hypothétiques conneries que je suis susceptible de faire sur un bateau... En plus aujourd´hui il fait beau et nous en profitons largement. Longues lectures et siestes pour tout le monde, repas fins de thon frais, bronzette, journée tranquille, journée bonheur!!!