jeudi 17 décembre 2009

Le journal de bord de la grande traversée

Le 1er décembre 2009


14h30 : Nous nous apprêtons à appareiller. Tout le monde est là, sur le catway, pour assister à notre départ, Pilou est un peu une star ! C’est la joie, l’effervescence, l’excitation des grands au revoirs, nous bisous à toutes joues et bon-ventons allègrement. Ces au revoirs là ne sont pas nostalgiques, ils sont plein du rêve que nous promet la traversée. Enfin nous larguons la dernière amarre et ne sommes plus que bras agités et Pilou Pilou hurlés au vent. Il nous faut maintenant sortir du chenal, et prendre le large. Le vent souffle par force 7, la mer est agitée, Pilou, à la grand-voile duquel nous faisons prendre 1 ris, bombe à 9 noeuds ! Une fusée. Nous lui remettons deux autres ris dans la tronche, il trace encore à 7 nœuds. Nous tenons sa barre à la main pou le prévenir de l’assaut des vagues et des rafales.

Ce matin c’était le stress des grands départs, nous avons crapahuté dans toute la ville avec mon sur-équipier Nyels l’oie sauvage pour acheter pain, viande légumes. Nous avons préparé Pilou pour son grand voyage, appelé une dernière fois nos proches, et nous voilà maintenant, faisant cap au 180, partis, enfin pour le Brésil.

Le vent souffle fort, avec des pointes à 25 nœuds, il postillonne en permanence sur Pilou, au point que nous devons enfiler salopette cirée (bonheur !), et blouson. Nyels retrouve ses sensas et sa concentration toute professionnelle. Il a fière allure, debout, campé, les deux mains sur la roue, le regard vissé tantôt au compas, tantôt à l’horizon, il tient Pilou au respect, dans son cap, du sud du sud du sud. Il cogite, il pense ses petits réglages. Il y beaucoup d’air, Pilou est dur à la barre, il suggère le 3ème ris, nous le prenons. Nous sommes tous un peu vannés. Ce soir ça sera pâtes au beurre, point barre.

La navigation est affaire de bon sens. Vous avez trois données : le vent, la mer, le bateau. Votre bateau est comme un cheval que vous devez brider ou laisser partir. Votre bateau doit avancer en gardant une stabilité maximale, compte tenu de l’air qui le pousse, et de l’eau qui le porte. Si le vent est trop fort et la mer trop agitée, vous devez réduire les voiles, sinon votre bateau, trop toilé, part dans tous les sens. Il faut ajuster vos réglages, ce sont les réglages qui font votre performance, optimisent vitesse et équilibre. Il faut être à l’écoute des éléments et de votre voilier pour pouvoir tracer votre route au plus juste. Toutes ces petites leçons rentrent dans ma tête au fur et à mesure , grâce aux explications précises que donnent en réponse à mes nombreuses questions, François et Nyels qui sont à mes yeux les deux meilleurs matelots, du rallye, et très probablement, du monde.... Grâce à eux je me sens plus à l’aise, moins débile profonde !

J’ai hâte de retrouver ma couchette, je suis vannée. Je ne dors pas tranquillement, je ne suis pas tout à fait bien amarinée.


Le 2 décembre 09

A 7h, Nyels tape à mon hublot pour me faire admirer le lever du soleil. Nous retrouvons nos petits mécanismes, nos petites habitudes, à nous Pilou !
Je me lève, admire , puis vais préparer une salade de fruits pour le p’tit dej du bord. François se réveille, file aux petits coins, et pousse des hurlements, « Ah ! Mais c’est dégueulasse ! ».. Je suis tout de suite visée, évidemment, puisque Nyels n’utilise pas les toilettes. Mais cette fois-ci, je n’ai plus peur, je n’ai plus peur des skippeurs. Je gueule à mon tour, amusée, Ah non ! C’est pas moi , moi j’prends pas ! 30 fois je pompe, à chaque fois, du bras droit, du bras gauche, cette fois-ci, c’est pas moi, c’est pas possible que ça soit moi, y en a marre !!! Je n’en peux plus des histoires de chiottes, les chiottes, ça ME pompe ! Finalement le chef découvre qu’il y a des microfissures qui empêchent le mécanisme de bien s’enclencher, je suis innocentée. Nous filons à huit nœuds, parfois neuf, Pilou va bien, Pilou va vite. Nous récupérons en siestant à tour de rôle de la vie de bâton de chaise que nous menons aux escales.

Je fais une longue sieste 4h environ, c’est dire si je suis crevée. Je me réveille pile pour le coucher du soleil. En même temps se lève la lune. Pilou trace vers le sud, à son bâbord et à son tribord, les astres du jour et de la nuit se font face, et nous ne savons plus ou donner de la tête, ni de l’appareil photo. Ce soir nous dinapérons, nous découpons du fromage, du pain, du saucisson, et on se pourceotte en écoutant la super musique rock touareg de François. On est tellement contents qu’on danse ans le cockpit, c’est frissons de bonheur sur Pilou ! On va pousser l’enthousiasme jusqu’à introduire la vacation dont nous sommes responsables, en chanson. Qu’est-ce que la vacation ? La vacation, c’est la chose suivante : Nous sommes 38 bateaux faisant route vers le Brésil, divisés en trois groupes. Les plus lents sont partis en premier, le 30 novembre, les moyens en deuxième le 1er décembre (c’est nous !), et les plus rapides en dernier le 2 décembre. Un responsable de la vacation est désigné ou se propose, pour chaque groupe. Pour notre groupe, François s’est proposé. De fait, tous les matins à 9h30 et tous les soirs à 19h30, François appelle tous les bateaux de notre groupe pour leur demander si tout va bien à bord, et pour relever leur cap, leur allure, et leur voilure. C’est l’occasion de papoter avec chacun, c’est sympa, c’est RIDS ! Pour cette vacation-ci, j’entonne un Sodade qui nous ramène tous 150 miles en arrière, au Cap-Vert. Notre groupe salue avec joie cette lyrique introduction, on recommencera ! Déjà, il est 20h, l’heure du premier quart, le mien. Tout le monde va se coucher pendant que je veille sur un Pilou éclairé par une lune pleine et irradiante de lumière.