Nous avons appareillé Le 25 décembre, à 7h Du mat´, pensez si j´ étais ravie de me lever encore et toujours aux aurores, le jour de Noel en plus.... Nous allons dans un endroit ou l´eau est pure, Eric doit y plonger pour nettoyer la coque du bateau. On va au moteur, il y a deux noeuds de vent, je ne verrai pas les 10-12 noeuds que promet Solo. Eric est mon premier skipper jeune. Il dit qu´il en a 35 (notez la nuance... je ne veux vexer personne.). Il n´a pas de cheveux blancs, pas de poils au nez, ni aux oreilles, il n´a pas l´air caractériel, ni pervers, Eric a l´air d´être tout ce qu´il y a de plus normal. Il parle beaucoup de lui, mais je crois que c´est un trait de personnalité commun à beaucoup de capitaines de bateaux. Un bateau, c´est une histoire, un avant, un après, des galères, des grands bonheurs, les voyages, les rencontres, la mer, les océans, la terre, les hommes, un bateau c´est absolument tout ça. Les marins disent qu´ils sont de grands solitaires, mais ils cherchent beaucoup la reconnaissance, l´admiration, le tribut que leur vaut le dur choix qu´ils ont fait de tout donner à l´eau. Parce qu´en bateau, il n´y a pas de demi-mesure, c´est tout ou rien. Du moment ou vous possédez la moindre coquille de noix, vous vous engagez à la faire marcher, à l´entretenir, à la bichonner. Si vous la laissez à l´abandon, c´est très simple, elle coule. Un bateau c´est comme un enfant, ça demande autant d´investissement physique, intellectuel, et financier. Et comme c´est dangereux, ça demande des couilles, surtout pour le skippeur, qui connait tout les risques et les dangers de la bête, et doit en préserver son bord. On sait que le skippeur a conscience de la lourdeur de sa tâche, de la responsabilité qui lui incombe, c´est une charge à laquelle il se sacrifie volontier car la récompense que lui permettent ses efforts n´a pas de prix. Et elle se raconte, inlassablement, des centaines de fois, toute la vie durant. Leurs sempiternelles histoires nous font les yeux ronds, nous y jettent de la poudre, on écarquille, on ouvre grand la bouche, sauf qu´au bout d´un moment, on a tellement bavé qu´on a plus de salive, en en a tellement entendu qu´on a plus de tympans. Malgré tout, ça vaut toujours le coup de prêter une oreille attentive aux contes des skippers. Avec le temps vous avez appris à discerner le vrai du faux, un regard franc et sincère accompagne le récit d´une vie qui vous donne la chair de poule, et vous reconnaissez que les skippeurs, et leurs histoires, c´est un tout auquel vous ne devez pas échapper. Eric donc, se raconte au bout de deux minutes, comme la plupart des marins (souvent à l´abordage de la retraite) que j´ai rencontré jusqu´ici. J´écoute, mais c´est marrant, je n´ai pas le 'Oh lala' aussi fréquent que d´habitude, je me blase un peu, ça fait tout drôle. Il faut dire que j´étais tellement impressionnable et désepérante de naïveté! Le constat de mon imperceptible froideur me rassure un peu, ça va dans le bon sens, je serais presque sceptique par moment, on croit rêver!
Eric donc, malgré le fait qu´il en fasse des tonnes, est un personnage très sympathique, simple et direct. Son bateau est comme lui, sportif, sobre, et il en jette. Ou voudrait en jeter, parce qu´a 2,5 noeuds, on est pas au summum de l´extase, mais on sent que Solo n´attend que le vent pour filer comme une fusée. Je suis assez amusée aujourd´hui par le débrief que je me fais de ma journée de la veille, la journée du réveillon de Noël. Je l´ai passée dans un bus, j´ai mangé 4 pommes, fumé 5 clopes, bu un demi-litre de café au lait et un litre d´eau, dormi, lu, écouté de la musique en regardant le paysage, pensé au saussay,je suis arrivée à Rio, je me suis stressée pour un taxi, j´en ai trouvé un, j´ai traversé la ville sur le siège passager en devisant gaiement avec le chauffeur qui était de fort bonne humeur, halluciné sur la grandeur et la chaleur de Rio, sa beauté et son dynamisme, puis j´ai embarqué sur un énorme bateau avec un mec que je ne connais pas, que je n´ai jamais vu (il avait engagé un skippeur pour la transat 6,50, je ne l´avais meme pas rencontré à Madère, c´est pour ça que je ne me souvenais pas bien de lui....), on a mangé des patates et une salade, et on est allés se coucher, à 23h, on a même pas attendu que le petit Jésus soit né! Mais! Chose incroyable et complètement magique, de la magie de Noël, nous étions au mouillage a Urca, quartier trés chic, au Iate Club de Rio, dans une marina qui nous offrait une vue imprenable sur le Pain de sucre et le Corcovado, éclairé! J´ai vu le grand Jésus debout tout illuminé, et quelques feux d´artifices qui venaient lui chatouiller les pieds. Rio était ce soir là, la plus grande crêche du monde. Assez sensationnel pour le coup, et surréaliste. Se retrouver lá, après 30h de bus, le soir du réveillon, avec un inconnu, devant le Christ Rédempteur, imposant ses mains sur une ville géante, un monstre fascinant, avec lequel j´ai accroché dès que j´en ai fait le premier tour en taxi. Rio je vais y retourner et y vivre un peu, ça a juste l´air génial, surtout la nuit, la nuit c´est trop beau (elle est folle). Passage éclair, mais très impactant.