Aujourd’hui c’est mon dernier jour au Canada, et j’avoue que je suis bien triste de partir. Montréal est une ville géniale, c’est tellement surréaliste d’être dans un coin où les gens parlent français et sont tellement aimables et avenants ! Ici le shopping se dit « magazinage » et j’ai beaucoup magaziné, sur Sainte-Catherine et Sherbrooke, pour trouver des cadeaux à mes gentils hôtes. A chaque fois que j’entrais quelque part, il y avait toujours un vendeur pour me dire « bonjour comment vas-tu ? » ce à quoi je répondais, « mais merveilleusement ! Le canada c’est tellement sympa, vous êtes tellement gentils vous les québécois !! ». On vous bichonne, on s’occupe de vous, on ne vous laissera pas partir sans que vous ayez trouvé ce que vous cherchez. Leur accent atypique les rend encore mille fois plus sympathiques, et les expressions imagées qu’ils utilisent ajoutent encore plus de charme à ce peuple… Le Canada ira loin, car le Canada c’est trop sympa, et la sympathie, ça vous mène là où vous voulez aller. Avec un sourire et de la bonne humeur on obtient tout ce qu’on veut, j’en étais persuadée, le Canada me l’a confirmé.
J’ai été hébergée par une famille open, libre, Les R-L sont des gens ouverts, extrêmement intelligents, terriblement accueillants et sympathiques, qui m’ont reçue avecsimplicité et une gentillesse infinie. Je me suis fait plein de nouveaux amis dans cette ville décontractée, relax, où l’été ne fait que commencer, et voit déjà tout le monde dehors, marcher, courir, barbecuter, se détendre, discuter, boire et faire la fête. Je me suis rarement sentie aussi à l’aise et heureuse dans une grande ville. S’il n’y avait pas le satané hiver et le froid mortel, je m’installerais ici pour la vie. Mais pourquoi la France n’est-elle pas québécoise ?
Il était impensable pour moi de quitter le Canada sans avoir chanté dans un espace public. Aujourd’hui donc, après m’être remise de la cuite de la veille, prise avec Gersande, Colin et d’autres, je me suis bougé les fesses pour aller chanter en haut de la ville, sur une grande place du parc Mont-Royal, surplombant les grattes-ciels et le Saint-Laurent. Monsieur R-L m’y a conduite en voiture, une gentillesse, je ne vous raconte pas, il a loupé dix minutes d’un match de hockey décisif pour son équipe, juste pour me rendre ce service. Je m’installe en plein milieu de la place, et après avoir chanté Liberta, j’entends une ronde d’applaudissements venus de tous les coins, qui me fait chaud au cœur…J’ expliqué qui je suis, ce que je fais, et précise bien que surtout, il ne faut absolument pas me donner d’argent, sinon je me retrouve derrière les barreaux. Je leurs dis, si vous voyez quelqu’un qui veut donner, rattrapez le par pitié, il y va de ma liberté !!! J’explique l’électricité, la pédale, l’assistance est conquise et enthousiaste, je suis au septième ciel. En arrivant j’ai volé la vedette à un vieux guitariste qui chantait dans son coin pour des sous. Je lui ai demandé la permission de jouer, en lui promettant une contrepartie financière. Il a eu la gentillesse d’accepter. Au milieu de mon tour, j’explique au public la situation. Mesdames messieurs, je vais laisser Papillon (c’est ainsi qu’il se fait appeler) chanter à ma place. Je lui pique un peu son job cet après-midi, il est donc juste que je lui laisse le micro. Je vous invite, mesdames messieurs, à venir remplir sa boîte de sousous pendant qu’il performe, ça seraitchouette et sympathique, ça serait canadien quoi ! Voyant que personne ne se lève pour remplir sa caisse, je m’en saisis et fais un tour de la place tout sourire en allant voir les gens un par un pour leur tirer l’argent que Papillon mérite. En cinq minutes, je lui ramasse plus de vingt dollars canadiens, Papillon est ravi, me remercie mille fois, et va s’asseoir non loin de moi, en me dévorant de ses yeux plein de reconnaissances. Le bonheur que j’ai ressenti à ce moment là, je ne vous raconte pas ! Je devrais faire ça tous les jours ! Je fais mes acrobaties, chante mon petit tour, tout le monde est ravi. Il se passe quelque chose d’assez inédit. Souvent on me lance « aurais-tu une page web ? aurais tu des cd ? », et, voyant plein de blackberrys et d’iphones braqués sur moi, je propose une séance enregistrement en live sur vos gadgets de mes coordonnées internet. Je compte jusqu’à trois et vous pouvez enregistrer les adresses que j’épelle. A trois j’épelle, et les petits appareils enregistrent l’adresse du blog et de dailymotion…Surréaliste ! je termine par Blowing in the wind, remercie chaleureusement, discute avec pleinde gens qui viennet me voir, prennent l’adresse mail pour envoyer les photos qu’ils ont prises avec leurs mégas appareils. Après m’être faite escortée avant le tour, jusqu’à la place, d’abord en voiture par Monsieur R-L, puis à pied par un caporal de l’armée canadienne en civil, c’est un chercheur en physique de la très fameuse université de Mc Gill qui me ramène et porte bonne partie de mes affaires jusqu’au pas de ma porte. En chemin nous avons une conversation surréaliste à propos du choc des ions, de la fusion des atomes, et je ne sais quoi…Je rentre absolument ravie, retrouve ma copine Gersande à la maison, toute contente elle aussi de sa journée, je prends une douche et vais la rejoindre pour regarder Dr House, auquel je suis devenue complètement accroc grâce à elle. Ensuite je pars rejoindre Caty et sa copine dans un steack house, on rigole comme des folles, et on termine la soirée dans un bar à strip-tease devant des tas de femmes à poil et d’hommes réjouis. On a beau être dans un lieu de pêché, l’ambiance est bon enfant, jusque dans les toilettes ou clientes et strip-teaseuses se croisent, et comparent leurs féminité. Je me suis ainsi retrouvée fesses à l’air devant trois strip-teaseuses, qui ont fait un diagnostic assez positif de la rondeur de mon derrière, et m’ont donné moult conseils précieux pour travailler à le raffermir davantage…Surréaliste !!! Vive le Canada !!! A moi la grosse pomme !!!
Ça bouge ça bouge les amis, ça ne s’arrête pas !!! Après Madère, les Canaries, le Maroc, le Sénégal, le Cap Vert, le Brésil, les Antilles, le Canada, je m’attaque à la grosse pomme, the big apple, New York New York !!! Je suis tellement excitée, c’est sans précédent. Une copine de mon frère Laurent, au prénom jubilatoire, Joy, me reçoit chez elle à Manhattan. Je vais chanter dans les rues de la ville aux gratte-ciels, je vais charmer les New-Yorkais et leurs tirer tous leurs dollars !!!!Je suis impatiente, je trépigne, je bous !!!Je prie, je croise les doigts, j’invoque Celui qui m’aime et ma vierge sainte de me protéger de quelconque mésaventure (douanière) qui pourrait m’arriver. Je prends toutes les précautions, billet de retour (merci Papa !) en France, réservation dans un hôtel, histoire de ne pas recommencer la même bêtise que pour le Canada. Normalement, le 23, je serai sur le sol américain, et le 24, je chanterai dans Central Park, c’est trop beau !!! Voilà de quoi terminer ce périple en beauté, en hauteur, en splendeur et majesté ! Et des Starbucks cafés tous les 500 mètres, mais que me faut-il de plus pour être au comble de la félicité ??! Je me vois déjà, attendant que mon frappuccino mocha blanc ultra light sans crème fouettée soit servi, et que ma cigarette soit allumée, en terrasse, pour compter fébrilement les millions de dollars atterris dans ma boîte…
En attendant ça se passe toujours aussi merveilleusement au Canada. Je ne compte plus le nombre de frissons de bonheurs que j’ai eu ces dernières 24h. Je les ai passées dans la campagne de Montréal, à Hudson très exactement, ville équestre et marine, au bord du Saint-Laurent, en pleine nature, à 40mn en voiture de la grande ville. C’est mon ami Colin qui m’a invitée chez lui.
Mais qui est Colin ? Alors, quand j’étais à St-Maarten et que j’ai su que j’allais au Canada, j’ai tapé sur google, crew wanted montréal, histoire de voir si je pouvais naviguer un peu là bas. Je suis tombée sur la page facebook de Colin, et lui ai tout simplement envoyé un message pour lui demander s’il n’avait pas des tuyaux pour me faire embarquer sur une coquille de noix, quelle qu’elle soit. Nous sommes donc devenus amis via facebook, et le lendemain de mon arrivée, nous nous sommes retrouvés… chez Starbuck évidemment ! Nous avons passé une après-midi charmante à nous promener et à faire connaissance, Colin m’a fait voir la belle église de Saint-Joseph, et m’a proposé de participer sur son laser à une course de bateaux la semaine suivante, proposition à laquelle j’ai répondu YES OF COURSE ! N’ayant jamais fait de laser, et ayant toujours vu mon Papa dessus, j’ étais absolument réjouie de pouvoir partager ça avec Colin, et ensuite avec mon Papa. Avant-hier donc, Colin est venu me cueillir chez moi, nous sommes d’abord allés au belvédère du Mont-Royal pour admirer la vue, puis nous sommes rendus à Hudson, la ville où il habite, et navigue. C’est trop mignon comme ville, un vrai décor à l’américaine, de grandes maisons en pierre ou en bois, des petits magasins tellement choux qu’on se croirait dans Main street à Eurodisney , et au Yacht Club, le Saint-Laurent, vaste, gigantesque, au-delà duquel on voit la nature à perte de vue. Nous avons admiré un coucher de soleil flamboyant à couper le souffle, le plus beau de mon voyage je crois, tout ça en mangeant des côtes de proc barbecue à la mode portugaise, un régal pour les yeux et le ventre. Colin est charmant, il ne fait pas de rentre dedans, il est plein de tact et de courtoisie (il ouvre la portière aux dames… !), il en connaît un rayon sur les bateaux, il a parlé à Helen Mc Arthur ! Nous avons discuté voile, Amérique du sud, voyages, de tout et de rien. Il est resté longtemps avec une fille à moitié Danoise par son père, a passé trois semaines au Danemark, et m’a raconté plein d’histoires sur ce pays, pour mon plus grand bonheur. Il m’a gâtée, m’a offert un drapeau du Canada, le bouquin Into The Wild en anglais, et un autre livre d’aventure et de mer, Close to the wind, écrit par Pete Goss, un marin français. L’histoire est assez étonnante ; Pete Goss participait au Vendée Globe, était en bonne position pour gagner, quand il a entendu le S.O.S de Raphaël Dinelli, un autre compétiteur en détresse pris dans un énorme ouragan. Pete a lâché la course pour sauver Raphaël, est arrivé juste à temps, une heure plus tard, le bateau de Raphaël coulait. Il l’a sauvé, a perdu la course, mais a gagné un ami pour la vie, et la légion d’honneur, remise en main propre par Chirac. A l’arrivée, 150 000 personnes étaient là pour accueillir le héro et son rescapé… Les deux livres sont en anglais, ce qui est parfait, étant donné que je dois enrichir mon vocabulaire pour pouvoir moi-même écrire dans cette langue. Après cette belle journée de printemps, au lit tout le monde ! J’ai dormi dans le canapé du salon, d’un sommeil bienheureux, la tête toute pleine de belles images et de belles histoires. Le lendemain, café au lait chaud et pancakes maison ! Colin me traite comme une princesse. Ensuite, direction le garage, on sort les voiles du laser, gilets de sauvetages et tout le toutim, direction le Hudson yacht Club pour préparer le laser. Il fait beau, il fait chaud, mais il n’y a pas un pet de vent. On prépare le laser, on s’en va déjeuner, le vent se lève, on revient au Yacht Club, plus de vent. On attend sagement 18h, je fais une sieste allongée au soleil sur l’herbe au bord de l’eau, magique, mais quand je sors des limes, mauvaise nouvelle, toujours pas de vent, la course est à l’eau ! Pas grave, on va boire un pot à Montréal. Nous allons en haut de l’hôtel de la montagne, tisane pour moi, bière pour monsieur, coucher de soleil sur les grattes ciels, superbe, il fait bon, les québécois sont à la fête, les terrasses sont bondées, ça rigole dans tous les sens, tout le monde est dehors, ça sent l’été ! Colin me raccompagne chez moi, je raconte émerveillée mes dernières 24h à mes gentils hôtes qui me racontent les leurs, beaucoup plus sérieuses, je dîne de fèves et de blanc de poulet devant mon ordi, et me voilà allongée dans mon plumard, relatant, absolument ravie, cette petite tranche de vie québécoise, pleine de charme, de découvertes, et de frissons de bonheurs...
Ici, à Montréal, je mène une petite vie très heureuse et tranquille. Saint-Maarten m’avait laissée crevée, physiquement et moralement, l’épisode Dave d’Alaska m’ayant mis un sacré coup au moral. J’aurais pu revenir directement en France, mais je ne voulais pas apparaître complètement défaite et déprimée devant mes parents. C’est pourquoi j’ai décidé de me refaire une santé ici.
Je ne peux pas chanter. Par conséquent je vis grâce à la générosité de mes hôtes qui me logent, et me nourrissent, et grâce à celle de mes parents qui me paient mes cigarettes et mes transports. Je ne peux pas travailler, je suis par conséquent en vacances. Vacances que j’emploie à me remettre sur pied. Je cours tous les jours une heure dans le parc de Mont-Royal, un parc magnifique à deux pas de la maison, qui a été dessiné par le même architecte que Central Park. En haut de ce parc il y a une vue imprenable sur Montréal, le Saint-Laurent et le pont Jacques Cartier. Je commence par grimper la colline pendant 15 minutes, me repais de la jolie vue, puis je cours trois quart d’heures, en m’abreuvant aux multiples fontaines mises à disposition des promeneurs. Quand la course est finie, je marche une demi-heure, puis m’allonge sur l’herbe au soleil pendant une heure. Trois heures après être partie je reviens, crevée d’une bonne fatigue, je prends un bain chaud (luuuuuuuuuuuuxe !), et je repars me balader, seule ou accompagnée de Gersande, Caty, ou Colin.
Aujourd’hui nous avons eu un diner familial. Il y avait le grand-père italien, la grand-mère vénézuélienne, maman italo vénézuélienne, les deux enfants franco canadiens, et moi, française. Autour de la table tout le monde jonglait entre 4 langues (enfants comme parents), le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien, tout bonnement renversant !
Le soir je lis et vaque sur internet, me couche vers 23h, pour me réveiller le lendemain vers midi treize heures, et hop, la journée recommence. Je m’alimente bien, ne mange que du poisson, des légumes et des fruits, et retrouve mon petit bedon un peu plus plat tous les jours. Tous les deux jours je reçois un message du beau milieu de l’Atlantique, un message du danois, ce qui, à chaque fois, me met dans une humeur radieuse et rayonnante. Ces jours là je suis levée à 7h du mat’,je lis le message (qui arrive pendant la nuit), je réponds, et me rendors, toute paisible et heureuse. Je ne m’ennuie jamais, j’aime cette existence calme et mesurée, le train de mes émotions ne fait pas d’énormes bond, j’ai l’impression que la vie est un long fleuve tranquille. Je ne me sens pas encore tout à fait prête à rentrer, je veux consolider mon état, réellement me fortifier, avant d’affronter la tempête de projets qui m’attendent à mon retour. Voici comment je compte employer mon temps à Paris.
Tout d’abord la première chose à faire sera de démarcher mes contacts dans l’évènementiel pour faire des animations de soirées, dîners, cocktails, et remplir mes poches. La deuxième sera de monter le dossier de mon docu voyage musique et de le présenter à toutes les chaînes de télévision que ce projet serait susceptible d’intéresser. La troisième sera de chanter dans les rues de Paris. La quatrième sera de me faire fabriquer mon charriot à roulette qui pourra s’attacher à un vélo, et partir début aout sur les routes de France et d’Europe du nord, pédaler et chanter en France, en Belgique, en Allemagne, au Danemark (petite surprise pour le danois), en Allemagne de nouveau, et en République Tchèque (petite surprise pour Maya). 4000 km, 2 mois de voyage.Ensuite je pars avec mon cameraman faire la route de la soie, sans vélo cette fois-ci, par tous les moyens de transports sauf l’avion, en chantant toujours dans la rue. Il va s’en passer des choses !!!! Le projet d’Europe à vélo c’est pour mon plaisir, mais c’est aussi stratégique. Il se peut que les télévisions ne soient pas chaudes pour s’engager sur un gros et long projet comme la route de la soie. Alors en back up, je peux leur proposer l’Europe du nord à vélo. Dans ce cas j’embarque avec moi le cameraman (qu’il me faut trouver). Si elles valident le projet de la route de la soie, je pars seule à vélo.
Tous ces projets gravitent dans ma tête, j’y pense nuit et jour. En ce moment je cherche le titre du docu voyage musique, je n’ai pas d’idées, sauf une : Chapeau l’artiste (la boîte panthère serait alors remplacée par un beau chapeau melon ou haut de forme), mais je voudrais que le titre évoque à la fois la chanteuse, et le cameraman. Voilà, j’en suis rendue là, comme on dit ici.
Bon. Les enfants, il est grand temps que j’explique ce qu’il s’est passé avec Dave d’Alaska, le prêtre mormon défroqué, pourquoi nous avons embarqué sur son bateau, puis nous en sommes enfuies en courant.
Nous avons donc rencontré Dave tout à fait par hasard, dans un minibus public, alors que nous nous rendions à Philipsburg pour que j’y chante sur la place du front de mer. Dave, interloqué par tout mon bardas, nous demande ce que nous fabriquons, et très naturellement je lui propose de venir vérifier par lui-même. Il nous accompagne donc sur la place, mais dit qu’il nous retrouve plus tard car il a une course à faire pour son bateau. Il nous rejoint à la fin de mon tour, puis nous suit jusqu’à mon deuxième spot sur lequel je n’ai finalement pas pu chanter. Il nous suit donc jusqu’à un troisième spot. Chemin faisant il me lance, « we are following you like puppies! », ce qui provoque chez moi un grand éclat de rire, c’est à ce moment précis que j’ai adopté Dave. Je lui dis, « you speak your mind, it’s nice! », ce type, je l’aime bien. Il assiste au tour, il est complètement emballé, et plus tard sur le bateau il me dira « I fell in love with you when I saw you singing there » ce qui veut juste dire qu’il a vraiment apprécié, à ne pas prendre au pied de la lettre. Après le tour, nous nous séparons, et je lui propose de venir nous rejoindre le soir même à la marina de Marigot où j’ai prévu de chanter. Le soir à 20h, il arrive et prend place à la table des tchèques. Dave veut ramener son bateau à Saint-Thomas et a besoin d’un équipier pour le quart de nuit. 80 miles séparent st-Maarten de St-Thomas, il s’agit donc d’une nav de 24h grand max. Il demande à Maya si elle n’aurait pas des pistes, et Maya lui propose tout simplement d’embarquer avec lui. Lorsque je termine mon tour, elle vient m’annoncer qu’elle embarque avec lui le surlendemain, et me dit que je peux venir aussi. Je dis non non non pas question, je reste ici, et toi Maya, fais bien bien attention, mets tout de suite les choses au clair, je connais les vieux skippers, il faut se méfier! Maya dit oui oui oui, nous nous quittons, je pars me coucher sagement, les tchèques et Dave retournent dans leurs bateaux respectifs. Le lendemain je retrouve Maya pour une journée plage, direction le spot des spots, Grand-Case, le calmos café les pieds dans l’eau, soleil de plomb, BBC (Baileys Banane Coco, très frais, très léger, délicieux), bonne copine, tout est parfait, je suis d’une humeur radieuse, et Maya aussi, toute contente qu’elle est à l’idée de quitter cette île de malheur. Nous reparlons de Dave, et je dis que j’embarquerais bien aussi à mon tour, Maya saute de joie, ce qui achève de me convaincre, je décide de me joindre à eux.
Nous embarquons donc le lendemain. Déjà je vois naître une réelle complicité entre Dave et Maya. Trop occupée à dormir ou à jouer de la guitare sur le pont, je les laisse souvent seuls, et à la façon qu’a Dave de la regarder, je sens qu’il a le béguin. Mais ça ne me choque pas, je me dis même que, peut-être, Maya a aussi le béguin pour lui. Dave est un beau vieux, un peu gras, mais on sent qu’il a été canon dans sa jeunesse, il est jeune dans sa tête, il a un beau bateau, on sait jamais, qui sait? Mais très vite je m’aperçois aussi que Dave veut tout pourvoir, et veut trop aider. Il fait les courses et refuse que l’on paie, demande à tous les personnes que l’on croise où trouver un job pour Maya, des bars où chanter pour moi. J’ai beau lui répéter que je n’ai pas besoin de bars, que la rue me suffit, il ne veut rien entendre et continue de chercher assidûment. On doit lui dire merci beaucoup trop de fois, moi, ça n’est pas pour me plaire. Dave n’a aucun plan prémédité, mais au fur et à mesure qu’il apprend à nous connaître, il voit que Maya n’a aucune attache, aucun projet futur, et que moi je papillonne où le vent me mène, il nourrit alors l’espoir que nous jetions l’ancre de nos vies sur son bateau pour lui faire vivre une existence d’aventure, de bohème et de musique. Avec nous il veut retrouver une deuxième jeunesse. Lorsque nous arrivons à St-Thomas, pour contrecarrer les dépenses de Dave et l’empêcher de nous acheter avec son argent, je profite de sa sieste pour emmener Maya faire les courses. Nous faisons de grandes courses, je paye avec ma panthère, et Dave peut s’apercevoir quand nous rentrons que je ne suis pas sans ressources, et que je ne me laisserai pas acheter. Il va alors essayer très subtilement de se débarrasser de moi en semant la discorde entre Maya et moi.
Il a deux stratagèmes. Le premier consiste à complimenter en permanence l’une devant en prenant à parti la deuxième. Au bout d’un moment c’est assez énervant, et on a tendance à penser, oui bon ça va, elle est humaine quoi! La deuxième tactique consiste à embarquer l’une pour trouver du travail à l’autre. Dès qu’il était avec Maya, il disait, on va chercher un embarquement et des bars où chanter pour Anna ( à l’étranger je suis Anna, et non pas Anne, beaucoup plus simple), et dès que j’étais seule avec lui, il m’obligeait à partir chercher du travail pour Maya. Il aurait été plus simple de chercher du travail pour Maya avec Maya, et un embarquement pour moi avec moi, mais ça n’aurait pas mis d’eau dans le gaz. A la fin je n’en pouvais plus de Maya et de son job, et Maya n’en pouvait plus de moi et mon embarquement (je voulais rentrer en bateau à st-Maarten histoire d’économiser l’avion). La compagnie de Dave étant charmante, et Dave accédant aux moindres de nos désirs et nous foutant une paix royale sur son bateau, il est impossible pour nous de deviner ses desseins, ou de nous retourner contre lui. Peu à peu donc, une tension s’installe insidieusement entre Maya et moi, et on finit par s’adresser la parole de manière assez brutale. Ce qui est étrange, mais ce n’est qu’une fois partie que nous nous en sommes rendues compte, c’est qu’il n’y a jamais eu aucun moment où nous ayons passé du temps toutes les deux toutes seules, Dave était toujours là. Un jour je suis seule avec Dave, et comme d’habitude nous parlons de Maya et de son job. Elle a fait une demande pour travailler sur un bateau de croisière, mais les procédures sont lentes et laborieuses. Nous parlons de ça, et Dave dit « I hope she doesn’t get the job » (Maya ne rêvait que de ça), et après il dit « I’m kidding of course ». Sauf que là, ding dong! Mon super instinct se réveille, et je me dis, Dave veut garder Maya avec lui sur le bateau. Mais encore, ça ne me choque pas, car Maya a l’air tellement heureuse sur Aeolus, qu’encore une fois, je me dis, pourquoi pas? Je me souviens même en avoir parlé avec Andy, pendant les deux jours où nous l’avons rejoint avec Aeolus à Jost Van Dyke. Il faisait nuit, on était tous les deux posés dans le hamac de Dania au clair de lune, et je lui parlais de Dave, et de Maya, en disant que peut-être il y avait cachalot sous nénuphar, ou anguille sous roche. Je lui disais que ça ne me choquerais pas, et il me répondait que lui non plus, que Dave avait l’air cool et gentil et que, vu la session de surf sur les vagues qu’il avait fait le jour même sur l’annexe avec Maya, il était plus jeune dans sa tête que la plupart des jeunes marins qui n’auraient jamais été risquer leurs annexes là-dedans. Mais tout ça, je décide de le garder pour moi et de ne pas en parler à Maya car je ne veux pas qu’elle ressente de gêne, de malaise ou quoi que ce soit, si jamais elle ne s’est pas rendue compte que Dave a l’air de tomber amoureux, et si jamais cette idée ne la séduit pas. Un jour, je casse le disque dur de Maya. Il vaut 300 euros, fait 500 gigas, dedans il y a toute sa vie, toutes ses photos, ses vidéos, ses musiques, ses films, ses CV, ses papiers scannés, bref, une perte incommensurable, inestimable. Je ne sais plus où me mettre, je ne sais pas quoi faire. Je dis à Maya, je te donnerai 300 euros, mais ça ne remplace pas tous les souvenirs. Dave vient me voir avec cette idée: acheter à deux un notebook pour Maya. Je saute de joie en pensant au bonheur qu’elle aura à recevoir ce cadeau, et me dis que ça remplace tous les disque durs du monde. Donc, quand Maya fait la sieste, nous partons tous les deux avec Dave dans le centre commercial de Saint-Thomas pour acheter un notebook. Avant Dave a faim, donc on va chez KFC. Là, Dave me demande si je suis quelqu’un de confiance. A cette question je préfère toujours répondre non,comme ça , pas de mauvaises surprises. Je lui demande pourquoi il me demande ça, il me dit qu’il a un grand secret, et me demande si j’irais le répéter à ma meilleure copine, en l’occurrence Maya. Je me mords les doigts d’avoir dit que je n’étais pas de confiance et tanne Dave pour savoir son secret. Je lui dis que je pense l’avoir deviné, il est amoureux de Maya, et veut la garder avec lui sur le bateau. Il dit non non non non, mais moi je suis sûre que c’est oui oui oui. Il ne veut pas cracher le morceau, mais je m’en fous, à mes yeux, ça ne peut être que ça. Nous partons en quête de l’ordi. Dave est surexcité, il veut ce qu’il y a de mieux. Je calme ses ardeurs, je lui dis que Maya va pas faire de la programmation java avec l’ordi, qu’on peut se contenter du bas de gamme. Il concède. Seulement je suis face à un problème. Je ne veux pas que Maya doive ce cadeau autant à Dave qu’à moi. Je veux qu’elle me doive plus, car je ne veux pas que Dave pourvoie trop. Je veux pourvoir plus, pour notre indépendance. Le notebook coute 300 dols, j’insiste pour prendre un disque dur externe, et dit Dave que c’est moi qui le paie. Dave veut tout partager, mais j’insiste. A la caisse, je paie 300 dols, a peu près le prix de ce que j’ai cassé, et Dave, 150. Je suis rassurée. Nous rentrons, on dit Maya à table, et dans son assiette, on lui met le notebook. Maya ne se sent plus de joie, ne comprend pas ce qui lui arrive, te motz vole! Je suis ravie, je peux oublier ma bêtise.
Le soir même, je veux m’isoler pour écrire une chanson à mon danois qu’on a quitté aux aurores le matin. Dave me suit, je me dis bon, tant pis, on va faire avec. Il s’assoit, je lui dis, tu vas m’aider, je vais te dire ce dont je veux parler, et tu vas me le reformuler avec tes jolis mots (Dave est un peu poète). Je lui dis tout, il reformule, je copie l’intégralité de ce qu’il raconte sur mon ordi. Le lendemain, j’ai besoin d’être seule, je pars comme une voleuse aux aurores en laissant un mot comme quoi je ne rentrerai que ce soir. Je vais à Red Hook, un quartier où il y une marina et des cafés. Je fais tous les bateaux de la marina sans trouver d’embarquement, et me pose sur une terrasse vide avec le Yuku et l’ordi, objectif, transformer les lignes que j’ai noté la veille en chanson. Toute l’après-midi je bûche. Je fais plusieurs rencontres, des petites filles que j’initie à mon instrument devant le regard attendri de leur maman, qui me demande si je peux leurs donner des cours, malheureusement non. Puis Matthew, un jeune américain très séduisant, qui s’installe carrément à ma table et me fait la causette. J’ai presque fini la chanson à ce moment là, je lui dis qu’elle est for my danish lover, comme ça pas de lézard, et la lui chante, il la trouve très à son goût, je suis ravie. Cet après-midi là, j’ai pris la décision de partir du bateau, et de rentrer le lendemain en avion. J’aime trop ma solitude et mon indépendance, la chanson est écrite, la boucle est bouclée, il n’y a plus qu’à rentrer. Matthew me dit qu’il est à la croisée des chemins de sa vie, qu’il aimerait bien apprendre à naviguer. Je lui propose d’embarquer sur Aeolus à ma place, et de venir visiter le bateau tout de suite. Nous prenons sa voiture et nous rendons à la marina. Là, personne. Pour passer le temps en les attendant on enfile les maillots et on va en annexe se baigner sur Happy Island. On discuten on bronze, trop sympa. On revient, toujours personne. Matthew me propose de boire un verre en ville, nous repartons dans sa voiture. En chemin on croise Dave et Maya, on les klaxonne, ils hallucinent complet de me voir assise à côté d’un bellâtre, alors que j’ai quitté le danois le matin même. J’ai beau leur dire que ça n’est pas ce qu’ils croient, ils continuent de rigoler comme deux abrutis. Bref. Ils montent dans la voiture et nous partons tous ensemble boire un verre. Ensuite Matthew nous ramène à la marina et reste sur le bateau, pendant que je branche tout pour enregistrer la chanson sur un bout de ponton. Je branche, j’enregistre, deux marins viennent voir et prennent place à bord, c’est trop chouette comme ambiance. Finalement il se fait tard, je débranche et range tout, Matthew s’en va, les marins prennent congés.
Je choisis ce moment là pour dire à Dave que je m’en vais le lendemain. Il me demande pourquoi. Ne sachant trop quoi dire, je lui dis que c’est à cause de Maya, que je trouve que notre relation s’est dégradée, et que je préfère partir, ce qui est vrai, avec Maya, on ne s’entend plus comme avant, mais je ne sais pas encore à ce moment là que c’est à cause de Dave. Dave appelle Maya, et provoque la confrontation. Là, on va passer trois heures à s’engueuler avec Maya, devant Dave, je lui dis qu’elle me parle comme à un chien, elle me dit que je me suis barrée du bateau comme une voleuse, on s’accuse de tout et n’importe quoi. Au bout d’un moment, je m’aperçois que, loin de tenter de calmer le jeu, Dave nous regarde, et je le sens, avec un certain plaisir. A la seconde où je me rends compte de ça, je dis Maya, you and me, outside, right now, and without Dave! On sort, et je lui dis tout. Je lui dis que Dave est amoureux, qu’il veut la garder et me jeter, qu’il essaie de tout faire pour qu’on s’engueule, qu’il a réussi et que maintenant, on doit se casser, et vite, parce que moi tout ça me débecte et que je peux plus voir sa gueule en peinture. Elle dit que ça la débecte aussi. Il est six heures du mat’, et on retourne au bateau, on dit à Dave qu’on se rentre à St-Maarten, on fait les bagages, et on se tire. On ne lui dit pas qu’on a compris tout son petit jeu. Je lui dis Dave, c’est cool, on a passé une super semaine, t’as été génial, merci pour tout, je t’adore, viens là que je te fasse un gros câlin. Je l’ai serré très fort dans mes bras, et je suis descendue. Je ne sais plus ce que Maya lui a dit, mais ça devait être du même style. Dave est très déçu, il nous en veut. Nous partons toutes seules avec notre chargement de mulet sur la route pour attraper un bus public, qu’on appelle ici safari. Au moment de tout charger dans le bus, Dave débarque et nous aide. Ensuite il veut négocier le prix avec le chauffeur. Là je craque et je lui hurle, excédée: « Dave, enough!!! For the love of God, please, stop that! ». Pendant toute la journée qui suit, et que nous avons passée à attendre le petit avion de 20h pour st-Maarten, on va tout décortiquer avec Maya, tout analyser, et tout comprendre. Elle me dit mais pourquoi tu ne me l’a pas dit que Dave me kiffait, je lui explique que je me disais que peut-être elle l’aimait bien aussi, après tout, elle l’a laissé lui raser les jambes! Elle hurle d’horreur à l’idée que j’ai pu les imaginer ensemble, mais me remercie quand même d’avoir tout découvert et de l’arracher à Dave le romantique. Mais tout ça m’a épuisée et traumatisée, même physiquement. J’ai des plaques rouges de stress sur le visage, je vomis tout ce que je mange, ça ne va pas du tout du tout. On ne cessera de répéter, it was too much. Même le souvenir de la merveilleuse retrouvaille avec le danois reste teinté de sombre. Dave a fomenté tout ça pour passer du temps seul avec Maya, c’était de la manipulation, de la gentille manipulation, mais de la manipulation quand même. Nous avons vécu trop d’émotions, trop fortes, c’ était trop, te motz! Une fois assise sur mon siège d’avion, ça va beaucoup mieux. Mais les plaques, apparues cette nuit là, vont rester une semaine et m’empêcher tout contact avec le soleil. Une fois de retour à mon hôtel, je branche direct et enregistre la chanson du Danois, pendant toute la nuit et la journée qui suivront. Je serai restée 48h sans fermer l’œil, me demande bien où je trouve l’énergie. Cette chanson, je l’adore, c’est la meilleure que j’ai jamais faite, je le sais. Heureusement qu’elle est là, car elle est la seule chose qui ne me fasse pas regretter d’avoir embarqué sur Aeolus.
Dave a eu une vie de fou. Il est né dans une famille de mormon, il est devenu prêtre mormon, puis il s’est défroqué, et fait un virage à 180 degrés, il est devenu une sorte de gigolo. Comme il était très beau et sans le sou, il se faisait entretenir par des femmes riches. Ensuite il est parti faire un tour d’Europe, d’Afrique, d’Amérique du sud, sac à dos, flûte en bandoulière, il a fait du trafic de drogues, de la musique dans la rue, est allé en prison deux fois, une fois en tunisie, une fois au Pérou. Ensuite il s’est installée en Alaska, a été tour à tour charpentier, puis foreur, puis ingénieur. Il s’est marié, a eu 5 enfants, le dernier ayant dix-huit ans (Maya est pote avec lui sur facebook). Il s’est séparé de sa femme, s’est acheté Aeolus pour 5000 dols (hallucinant), l’a retapé un peu et depuis navigue avec dans les caraïbes. Quand il nous a vues, il s’est rappelé sa jeunesse de backpacker musicien itinérant, il a espéré en retrouver un peu la saveur, mais il en a trop fait. Il est poète, gentil, serviable, ultra cool et relax, c’est un skipper pépère, il a un super sens de l’humour, il me faisait énormément rire!Je suis tellement triste que nous l’ayons quitté de cette façon, mais Dave était too much, il aurait dû mettre la pédale douce, nous serions peut- être encore sur Aeolus à l’heure qu’il est, qui sait?